Depuis 1994, cette production de La Flûte enchantée du Staatsoper de Berlin n’a pas pris une ride et continue de ravir le public. Doit-on ce secret de longévité à l’exceptionnelle mise en scène d’August Everding qui, pour les décors et les costumes, s’est inspiré des maquettes que Karl Friedrich Schinkels avait réalisées pour le Théâtre Royal de Berlin en 1816 ? Probablement, car certains tableaux comme l’apparition de la Reine de la Nuit sur son croissant de lune avec la voûte céleste étoilée en fond de scène sont devenus de véritables images d’Epinal. Il faut reconnaître que les décors de toiles peintes signés Fred Berndt rappellent les « vues de l’Hindoustan » et semblent sortir tout droit des ateliers de la manufacture de papiers peints Zuber. En contrepartie, le classicisme extrême de l’approche, qui va jusqu’à exprimer platement toutes les références symboliques du livret, manque de fantaisie et d’innovation. C’est l’éternel combat que se livrent les amateurs de mise en scène dites « de référence » et les tenants de productions qui participent au renouveau permanent d’une œuvre. Mais pour expliquer le succès indéniable de cette Flûte enchantée (233e représentation), ne faut-il pas mieux s’en tenir à l’aspect initiatique auprès des nouvelles générations plutôt qu’aux ressorts purement artistiques ? La succession rapide des tableaux aux sujets exotiques, l’intervention d’animaux sauvages pris dans des chorégraphies grotesques sous le charme de la flûte et le jeu facétieux d’un Papageno truculent (Gyula Orendt) ont raison de toutes les résistances même si par ailleurs l’interprétation scénique manque de relief.
Sous la baguette de Wolfram-Maria Märtig l’orchestre de la Staatskapelle de Berlin a le souci des nuances et une souplesse d’interprétation suffisante pour rattraper une mesure prise à contre temps par le chœur des trois garçons. Prédomine un sentiment de technicité extrême, conforté en cela par des personnages figés dans des rôles aux postures souvent hiératiques.
Jan Martinik est un Sarastro honorable et imposant même si la voix plus expressive du premier prêtre (Jonathan Winell) lui fait de l’ombre. Stephan Rügamer, très à l’aise dans le registre de Tamino, fait montre d’un jeu néanmoins emprunté. La Reine de la nuit d’Anna Siminska et la Pamina d’Anna Prohaska, techniquement irréprochables, manquent cependant d’ampleur pour prétendre au premier plan. En revanche les trois dames (Carola Höhn, Annika Schlicht et Constance Heller) présentent un ensemble d’une cohérence remarquable et un jeu de la plus haute tenue. Sonia Grané (Papagena) et Michael Smallwood (Monostatos) sont également très convaincants dans leur rôle, plus anecdotique.