Une interprétation du Voyage d’hiver en concert est toujours un événement attendu, tant l’œuvre fascine par son intensité et son rayonnement poétique. Et quand c’est une femme qui relève le défi, la curiosité se mêle à l’impatience : elle sont peu nombreuses, en effet, à avoir tenté l’expérience. La partition originale est destinée à un ténor, on le sait, mais ce sont surtout les barytons qui se la sont appropriée. Et si le texte, clairement, est conçu pour être placé dans la bouche d’un homme, rien n’empêche – si ce n’est un souci d’authenticité historique – l’exploration du chef d’œuvre par des voix féminines, des voix graves en particulier. Encore faut-il convaincre !
Et ce ne fut certes pas le cas de Nathalie Stutzmann et sa pianiste Inger Södergren. Ayant délibérément choisi le parti de théâtraliser leur interprétation, les deux comparses nous en ont livré une version particulièrement peu poétique, dépourvue d’intériorité, peu soignée, avec de nombreuses imprécisions malgré qu’elle eussent toutes deux la partition sous les yeux, et dont l’intensité semblait plus jouée que ressentie. Beaucoup d’emphase là où il aurait fallu de la simplicité, des pédales intempestives, des instabilités de tempo et un caractère très extraverti au clavier n’ont certes pas aidé la chanteuse à instaurer le climat poétique adéquat. L’équilibre chambriste entre une belle voix sombre aux timbres cuivrés mais cantonnée dans le registre grave et donc relativement peu sonore d’une part et un piano omniprésent, incisif, prosaïque, sans délicatesse aucune d’autre part ne fut que rarement satisfaisant.
Le répertoire expressif de la chanteuse puise dans une grammaire limitée : assombrissant systématiquement les voyelles, poitrinant le registre grave, elle use de ports de voix, d’accents intempestifs et d’un rubato qui finit par atteindre des proportions stylistiquement contestable. Tout cela semble autant d’artifices destinés à apporter de la diversité et du relief à l’interprétation, mais prend surtout un caractère anecdotique et artificiel qui nuit à l’intensité du propos. La place de l’émission vocale change constamment, apportant une regrettable discontinuité dans la ligne de chant. Quelques très belles nuances piano à la fin du cycle sont venues tardivement racheter, mais en partie seulement, la fâcheuse impression instaurée dès le début de l’œuvre. Plus de modestie, plus de simplicité et un peu d’esprit viennois auraient certainement rendu meilleur hommage à une partition où pourtant tout est écrit, et qu’il suffit – mais c’est un travail ardu et délicat – de rendre avec amour, respect et précision.
>> Pour un avis radicalement différent, voir l’interview de Nathalie Stutzmann sur Musiq3