Il devait venir en janvier à Toulouse pour Winterreise, le voilà en juin pour l’autre grand cycle schubertien. Matthias Goerne fait aussi d’une pierre deux coups puisque les répétitions pour Elektra, dernière nouvelle production de l’année au Théâtre du Capitole, commencent tout juste ; alors disons au passage qu’il nous tarde de connaître l’Oreste qu’il sera au côté de Ricarda Merbeth et Violetta Urmana, dans la vision de Michel Fau, qui clôturera la saison occitane. Forumopera aura l’occasion d’en reparler.
Ce soir, l’hiver est derrière nous, les mauvais jours sont passés, n’est-ce pas ? Alors l’heure est à chanter l’amour, celui du meunier pour la belle meunière. L’amour, tel que Matthias Goerne nous le livre, c’est une flamme ardente, forte, et qui semble indestructible. C’est un meunier amoureux, jaloux, rude et gaillard.
L’attaque du cycle (Das Wandern) nous prend à la gorge et la question nous vient : cette énergie, ce souffle, cette chaleur, cet empressement, va-t-il les tenir sur la distance ? Eh oui, et ce n’est pas le moindre des mérites de cette prestation ; tout au long du cycle et d’un bout à l’autre, Goerne campe ce meunier un peu rustre, un peu balourd même, mais toujours aussi amoureux, toujours aussi enflammé. Goerne fait de notre héros un amoureux non pas transi, mais viril, imposant, colérique et capable d’effacer des montagnes pour gagner le cœur de sa bien-aimée. Il déploie alors les accents les plus puissants, les plus brusques aussi pour définir sans nuance les élans amoureux du meunier. Goerne délivre une énergie impressionnante pour donner vie à des vers, dont la mièvrerie le dispute ici et là au romantisme bon teint et quelque peu suranné. Incroyable ardeur déployée à enchaîner sans aucune pause les Lieder 12 (Pause), 13 (Mit dem grünen Lautenbande), 14 (Der Jäger) et 15 (Eifersucht und Stolz) qui nous entraînent du chagrin à la jalousie en passant par la déploration et la colère, dans une séquence à couper le souffle et dont on ressort comme groggy ; la voix est alors sombre à souhait et le souffle bruyant.
Mais la force et la magie de l’interprétation de Matthias Goerne réside aussi dans sa capacité à varier les plaisirs et à magnifier les mille et une nuances dont Schubert a parsemé la partition. Car l’amoureux fou sait faire preuve d’une infinie délicatesse (Der Neugierige ou Des Müllers Blumen) avec une si raffinée conduite de la ligne de chant. Avions-nous cru en début de cycle que cet amoureux nous lasserait vite par ses ardeurs rustres et infantiles, que nous le découvrons au fur et à mesure que la quête de l’amour se joue, d’une formidable capacité à colorer de mille teintes la figure de l’émotion (Der Müller und der Bach) sans parler de l’ultime berceuse du ruisseau (Des Baches Wiegenlied ) dont on voudrait qu’elle ne s’achève jamais et pour laquelle Goerne lance ses dernières forces, cette fois tout en précision et en infinie délicatesse. Les ressorts les plus fins, les plus délicats de la voix, parachèvent un cycle anthologique.
Vision non édulcorée d’un cycle de Lieder à dire vrai davantage servi par la musique que par le texte. Il serait très injuste de ne pas citer Alexander Schmalcz, accompagnateur attentif et sûr. Sans aucune pause durant les soixante-dix minutes du concert, il aura été à l’écoute du baryton et l’aura suivi sans défaut.