Né à Leipzig, Patrick Grahl a tout naturellement commencé sa formation de musicien dans le chœur d’enfants de Saint-Thomas avant de rejoindre le Conservatoire de sa ville où il fut l’élève de Peter Schreier. Il fit ses débuts de soliste à l’Opéra de Lyon et à la Fenice de Venise, fut un évangéliste remarqué dans le récent enregistrement de la Passion selon Saint-Jean dirigé par Hans-Christoph Rademann et compte déjà à son actif l’enregistrement d’un premier récital, comprenant les Dichterliebe de Schumann et paru chez Cavi-Music. Ses débuts ici à Schwarzenberg, dans une Belle Meunière tout simplement magistrale, sont le gage d’une carrière toute tracée comme récitaliste.
L’air d’un adolescent grandi trop vite, un peu engoncé dans son frac (un habit que sa génération ne porte plus guère), une tête de premier de la classe un peu trop sûr de lui, ce jeune homme entre en scène comme on part à la conquête monde. Le premier contact avec la voix est envoûtant : puissante, charnue, magnifiquement bien placée, cet instrument semble capable de toutes les couleurs imaginables dans toutes les dynamiques possibles. Le chanteur puise à sa guise dans ce nuancier très riche, composant son discours, élaborant ses propositions narratives avec goût et discernement. Sa diction est tout simplement parfaite, chaque mot est articulé sans que rien paraisse forcé, et sans que la ligne de chant soit jamais interrompue. Avec un sens aigu du texte, de la narration, il varie les propositions expressives, allant même jusqu’à ornementer un peu dans les longs Lieder strophiques, et trouve pour chaque personnage du récit une couleur différente. Il captive ainsi son public par l’abondance des propositions musicales, tout en restant dans le ton du cycle, qu’il compose Lied après Lied, comme on trace un sillon.
Au caractère léger et divertissant du début succèdent les épisodes plus introspectifs, voire carrément douloureux qui révèlent chez lui une grande culture et une familiarité instruite avec l’univers romantique, mais aussi un monde intérieur plein de poésie et d’une rare maturité, qu’il livre pudiquement. Il n’hésite pas à chanter pianissimo, aux limites de l’audible, dégageant ainsi de très belles émotions, partagées avec une grande sincérité. Son intelligence du texte musical, sa grande concentration sont sans cesse mises au service du sens poétique de l’œuvre. On sent parfois le jeune chanteur un peu moins à son aise face à la surabondance de texte dans certains Lieder, ce qui l’oblige alors à plonger le nez dans la partition (dans Der Jäger, par exemple) au détriment de la communication visuelle avec le public, mais c’est là peu de chose. De toute évidence, le jeune ténor entre aujourd’hui dans le cénacle des meilleurs chanteurs de Lieder de sa génération et une très belle carrière s’ouvre devant lui.
A ses côtés, Daniel Heide particulièrement en forme fait assaut de propositions imaginatives, comme si l’aisance du chanteur libérait le pianiste de sa réserve, lui permettant alors un surcroit d’expressivité et quelques audaces pianistiques. A l’excellente diction du chanteur correspond l’excellente articulation du pianiste qui met en lumière telle mélodie, tel contrechant, tel élément rythmique ou percussif sans que ces petits coups de projecteur sonore paraissent artificiels. Ses propositions sont toujours en phase avec celles du chanteur, les renforcent, les magnifient, et ils forment ensemble un duo parfaitement complémentaire.
Patrick Grahl termine son récital dans le même état de fraicheur qu’il l’a commencé, sans aucune fatigue apparente. Mais quatre rappels bien mérités ne seront récompensés d’aucun bis, le cycle, c’est évident, se suffisant à lui-même.