Les musiciens sont au fond à gauche, les trois rôles principaux juchés sur des socles façon statues antiques (ou à la façon des acteurs immobiles genre Toutankhamon qui amusent les touristes). Les chœurs sont habillés de noir tandis que des danseurs en maillot de bain s’ébattent et s’éclaboussent sur des surfaces noires et glissantes. Visiblement, Blanca Li est obnubilée par les péplums qu’elle a vus dans sa jeunesse… au point de les resservir façon plat réchauffé. La référence aux muscles et aux jeux nautiques « à l’antique » est ici évidente, sans emporter complètement l’adhésion.
D’autres l’ont fait avant elle – et beaucoup mieux –, mais le problème dont on a souvent débattu dans ces colonnes concernant les vidéos scéniques, est que l’attention des spectateurs est facilement détournée de manière continue. Téléphoner ou conduire, il faut choisir, l’œil et l’oreille ne sont pas toujours synchrones : ici, comment ne pas être captivé par les ballets nautiques d’athlètes, d’éphèbes et de sirènes en maillots de bain, qui nagent à merveille sur une simple nappe d’eau, et constituent au fil de l’action des bateaux et autres barques, au point qu’ils finissent par prendre le pas sur la musique et le chant, réduits à l’état d’accompagnement aux ébats gymniques des talentueux danseurs.
© Photo Pablo Lorente
Et pourtant, chacune des entités du spectacle prise individuellement est parfaite, que ce soient les instrumentistes des Arts Florissants menés comme à son habitude avec fougue par William Christie qui assure aussi le continuo, les choristes qui participent efficacement à l’action, et les solistes juchés pour certains dans des poses quelque peu paralysantes et acrobatiques, et en tous cas certainement très inconfortables, on souffre pour eux. Helen Charlston est une fort belle Didon, qui sait donner à sa voix toutes les inflexions propres à rendre le caractère torturé de la reine confrontée aux forces du destin. Elle confirme ce soir des qualités vocales et d’interprétation qui avaient déjà été remarquées récemment dans Parténope à Paris et Beaune. Malgré la relative brièveté du rôle, Didon lui permet encore plus, notamment dans son air final, de développer son mezzo large et sonore. A ses côtés, Renato Dolcini est un Énée énergique qui arrive, malgré les limites scéniques qui lui sont imposées, à rendre le personnage crédible. Il est vocalement très présent, de même qu’Ana Vieire Leite, très impliquée dans le rôle de Belinda qu’elle rend particulièrement intéressant.
Dans les ors fanés des péplums d’autrefois redessinés par Evi Keller et les costumes vaguement antiquisants de Laurent Mercier, les doubles réponses entre l’action de l’opéra et celle évoquée par les danseurs finit par lasser, car vraiment répétitive. Manque d’inspiration de la metteuse en scène-chorégraphe ? Ou plutôt trop grande simplification de ce qui aurait pu devenir un meilleur spectacle si une grande mise en scène et des points de vue moins figés et stéréotypés avaient été privilégiés.