Un monde (linguistique, esthétique, culturel) semble séparer La Voix humaine du Château de Barbe-Bleue. Pourtant, d’un point de vue dramatique, ces deux courts chefs-d’oeuvre parlent comme rarement à l’opéra de la question du dialogue dans le couple, de sa nécessité et de son impossibilité. A la Femme soliloquant dans son combiné téléphonique répond le dialogue de sourd de Judith et Barbe-Bleue, tous trois enfermés dans leur logique passionnelle.
Le défi qui consiste à trouver une unité de ton sans perdre la spécificité des oeuvres, est plus ou moins relevé par les différents artisans de ce spectacle. Si Juraj Valcuha fait preuve d’une grande attention et de transparence dans la Voix humaine, son Barbe-Bleue sonne bien métronomique (arrivée au château) voire prosaïque (ouverture de la chambre des larmes). La direction d’acteurs de Laurent Pelly est pour sa part plus fluide et plus variée dans l’opéra de Bartok que dans le drame de Poulenc, où les allers et venues du personnage entre avant et arrière scène finissent par devenir systématiques.
Dans les deux ouvrages, la scénographie très mobile de Chantal Thomas se révèle dramatiquement efficace et visuellement convaincante. Elle permet de faire évoluer la Femme à travers les différentes pièces de son appartement (lyonnais) désespérément vide, à la recherche des souvenirs de son amant. Dans Barbe-Bleue, les murs boursouflés et suintants, sans cesse en mouvement, créent le sentiment d’un univers mouvant et instable. Pourtant, en se contentant d’évoquer le contenu de chacune des chambres par d’habiles éclairages, le metteur en scène passe à côté de la force et de la puissance visuelle que recèle le livret de Balazs.
On a beau admirer et apprécier l’immense artiste qu’est Felicity Lott, il nous faut néanmoins admettre qu’elle n’a plus l’âge ni la voix pour La Voix humaine. Le souci constant d’intelligibilité et de clarté dans le texte l’oblige à forcer ses moyens dans le grave et à sacrifier son chant au profit d’une diction toujours précise. Scéniquement très investis, les deux solistes de Barbe-Bleue sont eux aussi plus d’une fois dépassés par les exigences vocales de leur rôle.
Malgré la bonne volonté de chacun, des imprécisions vocales, orchestrales et scéniques empêchaient définitivement l’alchimie d’opérer ce soir-là … Ce n’est que partie remise.