Pour la clôture du 16e Festival Musiques à la Chabotterie, Le Devin du village de Jean-Jacques Rousseau représenté en plein air dans la cour du Logis est presque davantage dans son élément qu’à Fontainebleau en octobre 1752 lors de sa création. En sus du tricentenaire de la naissance du philosophe, l’intermède pastoral fête les vingt-cinq ans de l’ensemble d’Hugo Reyne et ses dix ans en tant que directeur artistique du festival.
« Huit ou dix leçons de femme, et fort interrompues, loin de me mettre en état de solfier, ne m’apprirent pas le quart des signes de la musique. » : voilà comment Rousseau commence son autobiographie de musicien dans les Confessions. Son histoire de berger-bergère qui s’aiment dans un petit village et qui ont pour juge de paix un devin sera pourtant jouée tout un siècle à Paris. Mozart s’en servira dès 1768, dans un livret qui prendra appui sur la parodie des Favart, pour son Bastien et Bastienne.
L’auteur cherche à faire ressentir « dès la première scène, la naïveté touchante » qui enveloppe ses petits pâtres, c’est la carte que joue Léonor Leprêtre, simple – trop simple pour nos oreilles modernes – dans son air « J’ai perdu tout mon bonheur » très à l’unisson voix-orchestre, ce qui n’aide pas à une interprétation souple. Cependant, la soprano suit, sans ornement aucun, les didascalies de caractère indiquées par Rousseau et joue tour à tour la bergère dépitée, contrariée, simplement triste au fil de ses récitatifs. On peut penser la voix un peu timide ou un peu froide mais on sait que Rousseau détestait ce qu’il appelait le récitatif « francisé » c’est-à-dire « trainé par les acteurs ».
Mathias Vidal est Colin. Il campe le petit berger volage dans une émotivité de chaque instant par un soutien et un vibrato qui suit les tremblements discrets d’une respiration d’amoureux dont le cœur serait serré. Selon le texte, il détimbre, module, cherche la compassion pour chacune de ses très nombreuses interventions. Dans le livret, c’est le protagoniste central, celui qui exprime le plus de sentiments ; pour exemple, il est le seul personnage qui doute.
Là où Rousseau, grâce à Arnaud Marzorati, tire son épingle du jeu, c’est dans le traitement buffa du personnage, davantage comique à l’italienne qu’étrange et digne de méfiance, à la bon sens paysan français. Le chanteur est paré de la voix sûre qu’on lui connaît malgré le jeu extra-cabot qu’il déploie. La grande qualité d’Arnaud Marzorati est surtout sa vivacité d’écoute, notamment dans la seconde scène Devin-Colette où la basse finit, avec un timbre si naturel, les phrases commencées par la soprano.
La mise en scène du tout est une composition collective des solistes du Marais sous la direction artistique d’Hugo Reyne. Les trois personnages pourraient nous parvenir comme manquant de liens entre eux, mais c’est la partition qui l’indique : le Devin se contorsionne avec des airs et récitatifs péremptoires, Colette est dans l’expectative en bergère un peu téléguidée et Colin dans une attente plus tourmentée. L’orchestre, malgré une partition harmonique assez monocorde, reste dans la dynamique plein jeu-petit jeu, efficace, sans effets sous la direction de Reyne. Dans l’orchestre, Marie Hervé propose alternativement basson et flûte, comme sa collègue hautboiste-flûtiste Laura Duthuillé : rondeur bienvenue du presque-chalumeau qui ajoute encore à l’esprit pastoral. Beaucoup de mérite du côté continuo pour la claveciniste Manami Haraguchi-Delafuys et pour le violoncelliste Jérôme Vidaller assurant l’enchaînement fluide d’accords improbables de certains récitatifs.