Il est des spectacles dont la renommée trouve son origine dans les ressorts de l’intrigue, d’autres en raison des difficultés vocales ou de la complexité de la partition… Le succès de cette reprise de La Bohème au Staatsoper de Berlin tient, quant à elle, à l’acuité de son propos. Il flotte sur cette Bohème une odeur de sapin qui tient non seulement à l’approche de Noël – tant dans l’argument qu’à la ville – mais aussi à la programmation en série par les maisons d’opéra berlinoises d’œuvres dont les héroïnes sont victimes de tuberculose.
Kristine Opolais, disons le d’entrée de jeu, est une Mimi formidable. Son chant est à l’image de la personnalité qui caractérise Mimi, à la fois doux et enfiévré. Inutile pour elle de forcer son instrument pour gagner en intensité, son émission tout autant que son jeu sont parfaits et rayonnent de sensibilité. A contrario, Musetta, au tempérament chicanier et enjôleur, est interprété par une Anna Samuil (qui incarnait récemment Traviata) au verbe haut et à la santé vocale agressive. Elle recueille néanmoins les mêmes réserves que précédemment (des aigus parfois criés, une composition grandiloquente) qui cependant, ici, cadrent mieux avec son personnage de grisette. Les quatre larrons qui partagent la mansarde où se noue le drame, affichent des caractères opposés dont les écarts de tessitures se font l’écho. Le ténor Stephen Costello donne des accents romantiques et passionnés au personnage de Rodolfo. Sans effort apparent, il séduit non seulement sa partenaire mais aussi l’auditoire en adoptant d’emblée l’interprétation juste et le ton persuasif pour son aria « che gelida manina ». La voix légèrement voilée du baryton Roman Trekel conforte Marcello dans son rôle de rebelle au caractère taciturne et emporté, tandis que celle d’Arttu Kataja en Schaunard lui compose une personnalité pleutre et roublarde. La basse Jan Martinik qui incarne Colline revêt des accents mélancoliques à l’image du philosophe, placide et bonhomme. Enfin, Michael Kraus prête sa voix tantôt traînante, tantôt nasillarde à des personnages cocasses (Benoît/Alcindoro) à l’image de ceux qui verront le jour dans Gianni Schicchi quelques années plus tard.
L’alliance de ces tempéraments contrastés et fougueux avec l’enchaînement de situations heureuses et dramatiques – à l’image de la vie réelle – donne à Puccini un prétexte pour ciseler une partition novatrice que l’orchestre de la Staatskapelle, sous la baguette d’Andris Nelsons, prend plaisir à faire rebondir, à en faire ressortir les fractures de rythme, à en esquisser les ritournelles pour les abandonner aussitôt en les transformant, révélant ainsi le génie vériste du Maître.
Dans les décors de Dan Potra, Lindy Hume nous offre une lecture on ne peut plus classique de l’œuvre. La mansarde est misérable à pleurer, la rive gauche est plus pittoresque que de nature, la reconstitution de ce Paris populaire semble dictée par Victor Hugo lui-même. L’absence d’innovations tapageuses ou savantes de cette mise en scène a le mérite de laisser l’attention du public se focaliser sur les épanchements des personnages qui donnent toute la substance à cette histoire, ainsi – n’en déplaise aux modernistes à tout va – les spectateurs de la misère humaine sont comblés.
Version recommandée :
Puccini: La Bohème | Giacomo Puccini par Herbert Von Karajan