Et Rangwanasha chanta… Elle chanta avec cette beauté de voix et cet élan du coeur qui donnent à la musique son pouvoir ensorceleur. Le concert, donné à Bordeaux par la jeune cantatrice sud africaine de 26 ans Masabane Cecilia Rangwanasha, était son premier grand concert en France. Au programme les sublimes derniers Lieder de Richard Strauss. Derniers Lieder, premier concert ! Cette cantatrice n’est pas une inconnue des lecteurs de Forumopera.com. Il y a deux ans, Christophe Rizoud avait exprimé son enthousiasme après l’avoir entendue au concours de chant de Villach où elle avait remporté le prix du public.
Les quatre derniers Lieder sont une œuvre testamentaire de Strauss, écrite à la fin de sa vie. Ils évoquent le « Printemps », « Septembre », le « Sommeil » et le « Coucher de soleil ». Le coucher de soleil est ici symbole de mort. « O grande et silencieuse paix », dit l’un des vers du poème. Le Lied s’achève sur cette interrogation : « Est-ce cela la mort ? ».
Rarement Richard Strauss a trouvé mélodies plus inspirées, élans plus voluptueux, orchestration plus riche. Il nous plonge dans un océan dont les vagues nous emportent sans répit. Tout n’est pourtant pas fini. Dans les dernières mesures gazouillent les trilles d’un piccolo, porteurs du message que la vie continue.
Dans ce répertoire qui n’est pas le sien et qu’elle chanta par coeur, Masabane Rangwanasha déploya une musicalité instinctive et sereine qui nous toucha. Son volume vocal est tel qu’à peine elle entrouvre les lèvres un son puissant en sort. Attrapant sans effort les notes aiguës, elle suivait avec une admirable justesse ces phrases sinueuses typiques du chant de Strauss, qui changent de tonalité à tout moment. Bras collés au corps, tête renversée en arrière elle était comme en recherche d’une inspiration venue du ciel. Il y a des chances qu’on la retrouve souvent sur les scènes internationales. Comme on dit en de pareilles circonstances : retenez bien son nom – mais là, ce n’est pas simple !
Elle était entourée d’un voluptueux orchestre de Bordeaux sous la direction de Paul Daniel. Ce chef anglais est à l’aise dans ce répertoire germanique. Il en apporta une preuve supplémentaire dans la deuxième partie du concert en dirigeant de manière éblouissante la vertigineuse 7e symphonie de Mahler. Ce gentleman conductor sait maîtriser les tempêtes sans sans en ôter la puissance. Il sait imposer sa mesure dans la démesure. Ainsi le très bel orchestre bordelais semble-t-il chez lui dans le labyrinthe mahlérien. Et nous, nous nous laissons emporter dans la tourmente. On en a tant besoin !