Le festival d’Ambronay cuvée 2012 s’était ouvert samedi 14 septembre par la création d’un Nabucco inconnu de Michelangelo Falvetti, splendide oratorio de la fin du XVIIe siècle, aux sonorités envoûtantes. Cet après-midi, pour le concert de clôture, ce sont les derniers feux du baroque qui resplendissent dans l’abbatiale. L’ensemble Concerto Köln, avant de donner une interprétation virtuose du Concerto grosso nº 6 de Haendel, joue avec brio deux concertos de compositeurs méconnus, l’Italien Evaristo Dall’Abaco (1675-1742) et l’Anglais Charles Avison (1709-1770), représentatifs de la circulation des idées et des formes en Europe au XVIIIe siècle et de l’évolution des formes musicales. La perfection du jeu est rehaussée par les effets spatiaux de relief, de transparence et d’écho qui se dégagent de cet orchestre sans chef, dont les points d’appui sont le premier violon Markus Hofmann, le chef de pupitre des seconds violons Sylvie Kraus et le violoncelliste Werner Matzke : trois centres qui impulsent une dynamique tourbillonnante à un ensemble au son généreux et sensible, intimement soudé dans une complicité souriante.
C’est peu dire que le contre-ténor Max Emanuel Cenčić apparaît parfaitement à son aise dans ce cadre musical : il y est chez lui à tel point qu’il peut se permettre de commencer de manière presque confidentielle l’air « In quelle luci belle » de Scarlatti, déployant avec aisance un chant d’une grande pureté dont il maîtrise les ornements et vocalises avec une virtuosité répondant à celle de l’orchestre.
La plus grande concentration accompagne l’exécution des différents morceaux, témoignant de qualités qui ont rapidement assuré le succès de Max Emanuel Cenčić : longueur du souffle, précision de la diction, attention portée au phrasé. La musicalité extrême ne s’accommode pas d’un volume sonore excessif, aussi l’instrument de Cenčić ne donne-t-il jamais le sentiment de vouloir s’imposer à l’orchestre ou au public. De la même manière, le chanteur ne manifeste que par quelques mouvements de la main les paroxysmes de la douleur et l’exacerbation de l’amour.
Les affects alternent, portés par des nuances subtiles, créant des halos d’émotion que séparent les œuvres instrumentales. Ainsi s’opposent par exemple l’air « Care pupille » du Tigrane de Scarlatti, tout en intériorité, et la partition agitée de « Venti turbini » empruntée au Rinaldo de Haendel. Ces contrastes participent d’une progression en quatre temps ménagée par le programme : douce félicité, douleur amoureuse, incendie du cœur et fureur incandescente. Un crescendo que confirment les deux bis donnés par le chanteur, l’air « Anche in mezzo » présenté comme issu d’Artabano de Vivaldi (et qui est repris dans La Costanza trionfante), et l’air de Farnace qui conclut le récital – malgré les rappels pressants d’un public jubilant. Dans ces deux airs, la projection est plus intense, le volume plus sonore, comme si le feu qui couvait pendant tout le concert éclatait enfin, lançant dans l’abbatiale les dernières étincelles du chant baroque.