Après plus de 20 ans d’existence, cette production du Rosenkavalier signée Götz Friedrich n’a pas pris une ride. Les décors à la fois sobres et fastueux mettent subtilement l’accent sur les ressorts de l’intrigue. Au premier acte, la profusion de satin s’échappant du lit évoque subtilement les amours extra-conjugales de la maréchale ; Les rutilants lustres à pampilles et plaquettes du somptueux salon de l’acte II trahissent l’arrivisme de Monsieur de Faninal, tandis qu’à l’acte III la scène de théâtre inversée suggère la dimension burlesque de la farce qui s’y déroule. Dans cet élégant écrin les nombreux protagonistes de cette comédie viennoise évoluent avec justesse au gré de la musique tantôt suave et langoureuse, tantôt tapageuse et stridente du maître de Garmisch. Les épisodes de charivari qui ponctuent l’oeuvre (lever de la maréchale, duel entre le baron et Octavian, loufoquerie générale de l’acte III) sont admirablement orchestrés et forment de mémorables tableaux où la cacophonie visuelle illustre les soubresauts de l’orchestre.
Alors qu’Albert Pesendorfer campe un baron Ochs idéal, aux manières grivoises et seigneuriales parfaitement maîtrisées et aux moyens vocaux à la mesure du rôle, la maréchale de Michaela Kaune présente la première épine de cette distribution. Fort heureusement elle compense sa faiblesse d’émission et son manque d’ampleur par une composition très raffinée et un jeu retenu propre à lui assurer la crédibilité nécessaire. Elina Garanca est parfaite en Octavian. Elle réunit les qualités de jeu et de chant pour donner toute la mesure aux différentes facettes du personnage. Elle est particulièrement crédible lorsque qu’on la retrouve harcelée par le baron et qu’elle le tient à distance par ses « nein, nein, ich trink’ kein Wein », simulant l’ivresse.
Eun Yee You qui assure le remplacement de la soprano programmée pour Sophie présente la seconde épine de la soirée. Même si son chant s’épanouit favorablement au troisième acte, sa composition scénique reste excessivement lourde et ses poses peu naturelles. Elle se campe notamment sur ses jambes écartées pour affronter les moindres aigus ou forte qui émaillent ses répliques. Markus Brück est un Monsieur de Faninal pétaradant, Fionnuala McCarthy, qui chanta longtemps le rôle de Sophie avec succès, incarne désormais sa duègne avec une belle véhémence. Parmi les nombreux rôles secondaires relevons les interprétations très réussies des deux intrigants italiens. Burkhard Ulrich (Valzacchi) adopte à merveille un débit saccadé et haletant qui s’inscrit dans la lignée d’autres rôles straussiens tels que ceux des conseillers juifs d’Hérode (Salomé) ou des beaux-frères de la teinturière (Die Frau ohne Schatten). Dana Beth Miller est à la mesure de son partenaire dans le rôle d’Annina pour lui donner la réplique.
Dans la fosse, l’orchestre du Deutsche Oper répondant aux sollicitations énergiques de son chef (Donald Runnicles) conserve néanmoins une grande clarté instrumentale dans les passages les plus tumultueux de la partition et retrouve un calme élégiaque dans le trio final qui réunit les trois cantatrices composant ce bouquet de roses.