Le thème de ce 37e Festival della Valle d’Itria, concocté par son nouveau directeur artistique Alberto Triola, s’intéresse à « la conscience du pouvoir », à la valeur de la culture dans notre société, et à l’importance d’un engagement éthique et civil. C’est bien sûr une approche très large, avec entre autres Aureliano in Palmira de Rossini, Il novello Giasone de Francesco Cavalli et le présent diptyque. Celui-ci confronte deux compositeurs, Korngold, encensé en 1916 par les puristes tenants de la tradition et rejetant la musique dite « de consommation » et le jazz, et Křenek soutenu par des partisans avant-gardistes dans une querelle qui oppose en 1927 les deux orientations.
La relation à Mozart est évidente dans les deux œuvres : le Ring fait penser à un Cosi fan tutte plus sévère, mais nimbé du pouvoir indéfectible de l’amour ; la composition est foisonnante, l’orchestration (proche de Richard Strauss et de Zemlinsky) d’une grande richesse. Le Königreich, beaucoup plus subversif, met en scène une méchante reine accompagnée de trois dames (référence à la Reine de la Nuit y compris musicalement avec de périlleuses vocalises) ; Křenek utilise le dodécaphonisme au service d’une satire mordante vis-à-vis de la montée des totalitarismes, que l’on peut rapprocher de La Naissance d’une Nation de Griffith et du Dictateur de Chaplin.
Les chanteurs ont fort à faire pour créer une atmosphère propice, alors que les spectateurs s’assoient dans le froid sur des sièges humides, sous la menace permanente d’une nouvelle pluie. Pour le Ring, le décor de Tiziano Santi et la mise en scène de Franco Ripa di Meana ne facilitent pas la réception d’une œuvre plutôt intimiste, un peu perdue sur un vaste plateau. Le niveau vocal des cinq protagonistes est bien équilibré, et visiblement tous ont bien étudié la mélodie, car souvent la douceur l’emporte sur les excès.
L’œuvre de Křenek nous a paru plus intéressante, d’abord musicalement parlant car plus novatrice, ensuite parce que le décorateur a été plus inspiré par une histoire un peu délirante, et que le metteur en scène, cette fois, s’en est donné à cœur joie ; enfin bien sûr car une œuvre de ce type dégage des personnages qui sont le rêve de tout chanteur : au premier plan, Martin Winkler interprète le Fou du roi : il est tout bonnement renversant de délire, de mimiques, de positions, un véritable régal scénique et qui plus est vocalement parfait. Zuzana Marková compose une irrésistible reine de dessin animé, accompagnée d’inénarrables trois dames ; toutes les quatre sont excellentes vocalement. Enfin, le reste de la distribution est parfaite, et tout le monde semble de plus bien s’amuser à interpréter cette œuvre décapante. Une découverte jubilatoire.