Sur le papier, c’était une soirée de répertoire prometteuse : Ricarda Merbeth dans son rôle signature (elle le chantait encore à Bayreuth cet été), John Lundgren en Hollandais (alors qu’il s’attaque à Wotan/Wanderer en 2017), un des ténors wagnériens du moment, Andreas Schager en Erik, et pour millimétrer les nombreuses interventions des chœurs, le chef maison, Ebehard Friedrich, qui officie aussi à Bayreuth. Oui mais, ce Hollandais restera lesté toute la soirée d’amarres diverses, dont personne ne parviendra à se départir tout à fait.
Le principal frein vient en premier lieu de l’orchestre. Il accuse la fatigue en cette fin de week-end et multiplie les accidents aux cuivres et aux vents au-delà du raisonnable. A sa tête Johannes Fritzch cherche lui aussi la bonne ficelle. L’ouverture au tempo lent manque de poix pour souder entre eux les différents thèmes exposés, puis, malgré de belles couleurs et le souci de mettre en relief les pupitres, il faudra attendre la dernière partie de la représentation pour que cette nacelle vogue, bien gréée et sereine.
Ricarda Merbeth prend le temps d’une balade pour démêler les fils de sa couture. Son médium peine à exister entre un registre aigu aisé et des graves laborieux, ce qui la conduit à ralentir, puis à escamoter le trille sur « bleicher Seemann ». Elle trouve le bon bout au cours des deux duos suivants et délivre une scène finale haletante. On regrette un jeu scénique toujours expressionniste et pas ou peu incarné, à l’opposé de l’intelligence musicale de l’interprète. Andreas Schager a sorti la grand-voile avant même d’avoir quitté le port ! Son Erik, qui sonne bien plus comme Siegfried, fait d’abord penser à un décalage de format vocal entre lui et le reste du plateau. Mais toutes ses phrases chantées entre le mezzo-forte et le forte sans plus de couleurs ou de nuances achèvent de convaincre qu’il est gêné pour rendre pleinement justice au rôle. Cette puissance de stentor trouve à se canaliser dans la composition du personnage : cet Erik est violent et tourmenté. Le Daland de Reinhard Hagen souffre de deux défauts rédhibitoires, une absence totale de vis comica qui en font un personnage fantoche en scène, et une usure du matériau vocal qui lâche la bride à un vibrato démesuré. Ultime accroc dans les maillons de cette soirée, le chœur des femmes verse du vinaigre à l’oreille dans toute la scène des fileuses. Alti et soprani chantent complètement dépareillées. Cela s’améliore au troisième acte mais elles accusent un défaut de puissance en comparaison des hommes. Ceux-ci signent une représentation de qualité, n’était-ce un regrettable accident, lorsqu’au troisième acte ils prennent un rythme différent entre leur partie vocale et la danse que leur demande la mise en scène. En revanche, le timbre clair de Dovlet Nurgeldiyev apporte toute la fraîcheur requise à son Steuermann. Anja Schlosser est bien chantante et austère comme il sied au personnage de Mary. C’est en définitive John Lundgren qui emporte l’adhésion. Du Hollandais il possède l’aisance, la noirceur et la puissance nécessaire. D’autant que le Suédois semble avoir fortement travaillé ce qui était jusqu’alors son tallon d’Achille : la prononciation germanique.
Datant de 1996 (voir les photos ci-dessus), la production de Marco Arturo Marelli supporte bien l’outrage des ans à l’exception de décors mobiles et fragiles, de toiles fixées sur des échafaudages de bois. Les lumières et ambiances de tempête sur la mer de Manfred Voss surprennent, de même que l’apparition du corps du Hollandais rejeté par les flots saisit le spectateur. La lecture est très classique et illustrative, à l’exception de la pantomime sur l’ouverture, où Erik emmène Senta, laissant un enfant seul jouer avec un navire en papier. Il porte le même manteau que celui qui accompagnera les mahleurs du Hollandais. Cette vaine idée d’un abandon plutôt qu’une malédiction ne sera pas reprise par la suite.