De la sobriété au service de l’émotion
C’est sans hésiter le mot « sobriété » qui viendrait à l’esprit si l’on devait résumer cette nouvelle production du chef-d’œuvre de Massenet. Une sobriété tant scénique que musicale.
Mariame Clément, dont on a beaucoup apprécié le travail ici pour La Belle Hélène (et que l’on se réjouit de retrouver l’an prochain pour Platée), signe une mise en scène épurée dans un curieux décor unique représentant un bout de colline verdoyante enfermée dans une cour à l’architecture néo-classique. Cet espace immuable (qui sera juste agrémenté d’un arbre puis d’un petit salon comme suspendu au-dessus de la colline aux actes II et III) traduit les choses telles que Werther semble les avoir figées dans sa mémoire depuis le premier jour où il chantait « Tout ce qui m’environne a l’air d’un paradis ». Ses paroles du 3e acte « Ici, rien n’a changé » prennent alors tout leur sens.
Les costumes campent clairement l’action au XIXe siècle, et à vrai dire, on se réjouit de retrouver un Werther avec sa veste bleue plutôt qu’en jean, et, pour les autres personnages, d’élégants costumes évoquant l’Empire plutôt que la période contemporaine ce qui, comme le fait justement remarquer Marianne Clément, aurait transformé Werther en un « névrosé égocentrique ».
Rien de mièvre pour autant, la direction d’acteurs réussissant à joliment caractériser chaque acteur du drame, mais sans lourdeur : le Bailli est simplement humain, Charlotte est digne, Albert est noble et intelligent tandis que Sophie est loin d’être uniquement la pimpante jeunette que l’on voit parfois.
Enfin, la vidéo est magistralement utilisée et, là encore, avec beaucoup de finesse, depuis la photo de famille (Charlotte, Albert, leurs enfants) en noir et blanc qui s’anime soudainement (Charlotte se retournant vers Werther que l’on devine au fond de la scène) à des images de forêt à différentes saisons en passant par des plans de la nuque de Charlotte vue de dos, et sur laquelle celle-ci passe doucement la main. Cette sensualité frémissante distille un sentiment de grande douceur qui peut paraître surprenant pour un ouvrage où le discours s’emballe souvent, et pourtant on se laisse gagner et toucher par cette sérénité nimbée de mélancolie.
Car tous ces éléments concourent à laisser l’émotion poindre naturellement, et permettent ainsi à la musique de s’épanouir pleinement.
Michel Plasson dans la fosse distille la leçon de style dont il a le secret : magnifique travail sur la texture orchestrale, les nuances, la préparation des climax puis leur « dissolution ». Il a su parer l’Orchestre Symphonique de Mulhouse de couleurs marquées qui magnifient la partition de Massenet. La formation mulhousienne est là dans ses grands jours (et il faut aussi en féliciter son chef permanent, Daniel Klajner) dont on préférera cependant davantage les solos du violoncelle que ceux du violon. Il sera ainsi difficile d’oublier la manière dont Plasson accompagne la première partie de l’air de Werther à la fin du deuxième acte, « Lorsque l’enfant revient d’un voyage avant l’heure » : l’auditeur est absolument hypnotisé par la magie des sonorités. On pourrait certes attendre un peu plus de relief dans les pages dramatiques, comme dans l’entracte symphonique séparant les troisième et quatrième acte, mais cette direction s’accorde parfaitement avec la mise en scène, tout en douceur.
Paul Groves lui aussi s’inscrit dans cette même conception : on est loin du Werther échevelé de Rolando Villazon. Le souci de la ligne et du style, l’élégance du chanteur sont remarquables. Le timbre agréable, le français très bon constituent des atouts supplémentaires. Malheureusement, le registre aigu est serré et la voix se rétrécit alors soudain, ce qui, dans ce rôle, constitue un sérieux handicap. Les magnifiques envolées vers l’aigu, qui, loin d’être décoratives, donnent à ce personnage son caractère enflammé puis désespéré, manquent ici cruellement d’éclat et de puissance, ce qui distille une certaine frustration.
Après une mémorable Didon des Troyens dans cette même salle, on retrouve avec plaisir Béatrice Uria-Monzon dans un de ses rôles de prédilection où la chanteuse se montre toujours aussi poignante et engagée. L’Albert de Marc Barrard affiche une solide voix de baryton, le chanteur se montre fin et stylé. On retrouve les mêmes qualités chez René Schirrer qui campe un très beau Bailli. Très bons également le Schmidt de François Piolino et le Johann de Richard Rittelmann qui tirent leur épingle du jeu sans tomber dans la caricature.
Mais la vraie révélation de la soirée fut pour nous la Sophie de l’exceptionnelle Hélène Guilmette. Le timbre superbe et surtout, l’incarnation magistrale nous ont complètement enthousiasmé, et pourtant la chose n’était pas facile avec un rôle qui peut faire sourire. Hélène Guilmette sait en effet donner une profondeur extraordinaire à son personnage. Lorsqu’elle se lance ainsi, au deuxième acte, dans ses couplets sur le bonheur (« Le bonheur est dans l’air »), et qu’elle les termine par « Tout le monde est heureux », elle chante cette phrase tout d’abord sur un ton de reproche à Werther et Albert, bien trop sérieux pour elle en cette journée, puis, à la fin du deuxième couplet, elle arrive à distiller à cette même phrase une émotion et un désespoir de ne pas être assez considérée par Werther tout à fait extraordinaires. Même intensité dans son apparition au troisième acte. En un mot ; inoubliable. Chapeau Madame. Un nom à suivre.
Pierre-Emmanuel Lephay
Prochaines représentations :
STRASBOURG : je 7 mai 20 h, sa 9 mai 20 h, lu 11 mai 20 h, me 13 mai 20 h
MULHOUSE, Filature : di 24 mai 15 h, ma 26 mai 20 h
Renseignements : www.operanationaldurhin.fr
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