Jeudi 8 juillet, à l’Opéra Royal du Château de Versailles se tenait une représentation inoubliable de la tragédie lyrique David et Jonathas de Charpentier. Il s’agissait d’une production du Centre de musique baroque de Versailles (Coréalisation Opéra Royal/Château de Versailles Spectacles – CMBV). Un enregistrement discographique a été réalisé pour le Centre de musique baroque de Versailles.
Ce concert était très attendu (outre son report dû aux conditions sanitaires des derniers mois), puisqu’il s’agissait du dernier concert dirigé par Olivier Schneebeli qui fut pendant trente ans à la direction musicale et pédagogique de la Maîtrise du CMBV : « Les Pages et les Chantres. »
Chef-d’œuvre de Charpentier, servi admirablement par l’Orchestre « les Temps Présents », David et Jonathas fut créé en 1688 au Collège Louis-le-Grand à Paris. Les actes étaient entrecoupés par une pièce de théâtre, Saül, du Père Chamillart : c’était en effet la seule manière de pouvoir présenter cette œuvre, le privilège royal empêchant tout autre que Lully de faire jouer une tragédie lyrique. A cette époque, le rôle de Jonathas et les petits rôles confiés aux dessus étaient tenus par des élèves, version retenue pour ce 8 juillet. Olivier Schneebeli a également souhaité faire entendre la déclamation de vers intercalés (pas en latin comme c’était le cas dans la version originelle) : il a donc choisi la Paraphrase de la plainte de David sur la mort de Saül et Jonathas écrite par le poète chrétien du XVIIème siècle Antoine Godeau, manifestement injustement oublié.
Faire jaillir le texte conjointement à cette musique donne une profondeur inouïe à l’œuvre de Charpentier et caractérise la démarche de Schneebeli, cet amoureux des Arts et des Lettres au sens large. Il convient ici de rendre hommage à un Maître : si l’excellence du musicien l’a amené au cours de sa carrière à collaborer comme chef de chœur et assistant aux productions dirigées par William Christie, Philippe Herreweghe, René Jacobs, il s’est illustré en tant que chef d’ensemble dans les productions du CMBV – et en collaboration avec ses musicologues- avec les Pages et les Chantres, et il a œuvré à la redécouverte des chefs-d‘œuvres du répertoire sacré de la France des XVIème et XVIIème siècles. Les associations avec de prestigieux ensembles et orchestres baroques sont des références au disque.
Comme point d’orgue de cette soirée particulière, le discours de Nicolas Bucher, Directeur du CMBV, venait éclairer le travail développé par Olivier Schneebeli : « Il m’a suffi de te voir pendant cinq minutes en répétition pour comprendre que faire de la musique avec toi, ça peut effectivement changer une vie. Quelques mots : la passion, la conviction, l’exigence. » Nicolas Bucher n’a pas manqué de mettre en exergue le retentissement humain du pédagogue, citant toutes ces personnes avec qui il s’était entretenu et qui avaient spontanément prononcé cette phrase : « Ah Olivier ! Je ne serais pas là où je suis si je ne l’avais pas rencontré ». Puis Catherine Pégard, Présidente de l’Etablissement public du château du musée et du domaine national de Versailles, ne tarissant pas d’éloges, lui a remis la Légion d’Honneur. L’émotion générale alors à son comble, Schneebeli a prononcé un vibrant témoignage dont voici les derniers mots : « Enfin, je veux revenir à vous, Pages, Chanteresses et Chantres, mes Bien-Aimés. Ce que vous m’avez apporté durant toutes ces années ne se peut concevoir. Les solistes de cette soirée, son metteur en scène, illustrent parfaitement tous les trésors dont vous m’avez comblé, dont vous avez su, tous autant que vous êtes, enthousiasmer mon âme. Au-delà de ce soir, pour le temps qu’il me reste, et sans doute au-delà, je ne vous oublierai pas ».
Je crois que l’on parle insuffisamment des êtres d’exception qui se font discrets : Olivier Schneebeli, que beaucoup d’enfants ont eu la chance de croiser, est un Ange-Musicien, une merveille d’Homme que j’ai moi aussi eu le bonheur d’avoir sur mon chemin, à Chartres. Chanter avec lui était à l’époque plus important que tout le reste et je garde le souvenir impérissable d’une transfiguration chaque fois qu’il nous dirigeait, qu’il insufflait le chant. Je me souviens aussi que chaque enfant percevait immédiatement qu’il avait en face de lui un phénomène rare. Il était le Pédagogue au sens le plus noble qui soit : parfaitement conscient de « travailler » avec de la matière humaine sur laquelle il lui suffisait de souffler délicatement pour qu’elle s’élève, qu’elle prenne son envol.
Puissent la Musique et la Pédagogie s’inspirer à jamais de votre exemple hors du commun, Monsieur Schneebeli, homme de l’ombre épris de Lumière.