Avec cette « mise en espace » de la Damnation de Faust, le théâtre du Châtelet couronne d’un quasi-échec ce qui est, à mon sens, une plaie moderne de l’art lyrique : une manière d’avant-garde scénographique, donnée avec les atours d’une analyse musico-littéraire paresseuse.
Le postulat de cette production, le voici : « l’ouvrage n’a que faire de s’encombrer de décors ou de cascades… car l’imagination créatrice de Berlioz a rassemblé dans la partition elle-même toutes les images que suggère le déroulement dramatique » et s’il faut faire une mise en scène, alors « attentifs à conserver à la musique le premier rôle, nous (proposons) une simple « promenade guidée » dans (cet) univers fantastique ». On attendait donc qu’on nous donne à voir ce qu’on ne pouvait pas déjà entendre, le parti-pris d’une création scénique et de sa propre lisibilité. Ne pas tenter de signifier une fois de trop ce que porte déjà la musique « à programme », mais chercher à être porteur de significations pour le public : voilà un bel enjeu.
Las, la réalisation de ce projet par Wissam Arbache tombe dans le piège qu’elle voulait éviter et on assiste pendant deux heures à une demi-mise en scène qui est en même temps sa propre négation. On n’a ainsi pu résister à mettre quelques décors (une table, un miroir). Pour seule cohérence, la direction d’acteurs impose une sorte de mimesis de mauvais goût : De Faust, la main sur le cœur au milieu de la scène – embarrassé entre deux pupitres de cuivres – aux chœurs, donnant, avec la maniaquerie d’une explication de texte, une pantomime digne des ballets les plus ringards du Palais Garnier. Au milieu de cette confusion, certaines idées séduisent tout de même : ces fauteuils de théâtre d’où Méphisto contemple paisiblement son œuvre, ou encore la teinture rouge en guise de contrat.
Pour autant, tout cela ne pallie pas l’absence de surtitres : fait simplement inacceptable dans un théâtre comme le Châtelet. On serait curieux d’en connaître l’origine (si ce n’était pas simplement une indifférence un peu trop voyante pour cette production ?).
L’ensemble sonore est à peine tenu par la direction hyperactive de Xavier Ricour qui à aucun moment n’abandonne le chœur (semi-professionnel, ce qui explique une certaine « blancheur » dans sa sonorité) et son orchestre. Cela n’empêche pas le concert d’être marqué par un effet de tangage pénible : au détour de chaque phrase émergent en effet des décalages peu confortables qui auraient bien fait terminer l’orchestre un quart d’heure après les chanteurs si on eût l’infortune de les donner en une fois.
Peu aidés par l’orchestre donc, les solistes s’en sortent de manière inégale. On est sans doute séduit par le timbre de Marie Gautrot, qui se tire bien de cette partition difficile, accordant une attention constante à la ligne musicale – pour ce qu’on entend. On ne peut que laisser le reste au jugement des cinq premiers rangs du théâtre, et c’est dommage. Matthieu Lécroart rend un Méphisto charmeur avec tout juste ce qu’il faut de voix, sans compter une diction agréable… presque, dirais-je, rhétorique – un luxe, pour Faust ! En revanche, tous ces concepts superflus d’intelligence musicale n’encombrent pas Luca Lombardo qui, en appliquant systématiquement à son Faust l’équation ‘aigus = forte’, ne s’embarrasse pas de la moindre idée de style. Surtout pas dans le duo amoureux avec Marguerite, où les aigus balancés (il n’y a pas d’autre mot), cette fois en voix de tête, me semblent constituer à eux seuls les meilleures et pires raisons de sa damnation.
La réponse à toutes ces déconvenues, il fallait l’attendre au final. A l’entrée du chœur d’enfants, le frémissement d’une excitation qu’on contient à peine anime une partie de la salle. Très vite, les flashs des appareils photos illuminent. Le véritable spectacle venait de commencer. Et c’est aux côtés de ces parents éblouis (occupés à fantasmer les futures productions de leur marmot sur la scène du Châtelet) que cette tonalité d’amateurisme bienveillant parvient à nous arracher, de justesse, un peu de l’émerveillement de la musique de Berlioz.