La notoriété du concours de chant baroque de Froville s’est imposée bien au-delà des frontières, et ses lauréats connaissent le plus souvent une belle carrière. Effet conjugué des suites du COVID et de la situation internationale ? Ce dernier caractère s’est amenuisé pour la 11e édition, qui se déroulait du 16 au 18 septembre au cœur de la Lorraine profonde. Les quinze chanteurs ayant participé à la demi-finale ne relevaient en effet que de quatre nationalités, toutes européennes. Pour autant, le niveau n’en a aucunement été affecté, tant s’en faut, ce qui atteste que le goût pour le chant baroque s’est imposé comme pérenne, et son approfondissement constant.
Les six sélectionnés ayant accédé à la finale se répartissaient comme suit : une soprano, 3 mezzos, un ténor et un baryton, aucun contre-ténor n’ayant franchi cet ultime cap. Le jury, renouvelé, comportait Hasnaa Bennani, qui a fait bien du chemin depuis son premier prix, obtenu ici même en 2011. Franck-Emmanuel Comte, qui présidait, était toujours assisté de Matthieu Rietzler, directeur de l’opéra de Rennes, et de Charlotte Blin, en charge du Jardin des Voix, de William Christie. Pour la seconde année, le Concert de l’Hostel Dieu accompagnait les candidats finalistes, avec Hélène Dufour et Stefano Intrieri, fidèles accompagnateurs au clavecin, qui avaient également assuré les demi-finales.
Le programme, exigeant (consultable sur le site du concours), a été conçu pour permettre d’apprécier toutes les qualités de chacun. Il imposait trois œuvres, dont une française, à la demi-finale, et trois autres, différentes, pour l’ultime épreuve. Trois langues au minimum, donc, pour des airs chantés dans leur version originale, non transposés. A côté de pages connues, chaque candidat s’était vu imposer un récitatif et une œuvre rare ou inédite parmi les trois de la demi-finale. Le sort de chacun allait se jouer en deux fois quinze à dix-huit minutes…
Outre la satisfaction légitime, le bonheur de la reconnaissance, les lauréats sont généreusement récompensés (7500 € de prix et un engagement sur une production du Concert de l’Hostel Dieu). Plébiscitée par le public, Blandine de Sansal décroche le premier prix. Splendide mezzo de 29 ans, déjà familière de plusieurs formations reconnues, elle aura valu de belles émotions aux auditeurs, conquis. Les couleurs, la projection, la conduite de la ligne emportent l’adhésion. Le « Vergnügte Ruh’ » de la cantate 170 de Bach, un air virtuose de Juditha triomphans de Vivaldi, puis, plus émouvant que jamais, le « When I am laid » de la Didon de Purcell ont été magistralement servis. Les deux autres mezzos en compétition avaient fait des choix qui empruntaient également à ces pièces. Valérie Pellegrini avait ainsi commencé par le même air de Bach, non moins remarquable, suivi d’un extrait de Il Giasone, de Cavalli, puis de Tolomeo, de Haendel. L’émission est charnue, les graves sont aussi impressionnants que le caractère sensible et dramatique qu’elle imprime à son chant. Une grande, n’en doutons pas, qui obtient le troisième prix. Le deuxième a été attribué au baryton, Matthieu Walendzik, dont la stature est aussi imposante que le chant. L’aisance, la projection d’une voix agile, égale, bien timbrée, à l’articulation exemplaire lui permettent de traduire le lyrisme le plus émouvant comme de donner vigueur aux passages dramatiques. Dès le récitatif d’un air extrait de l’Ercole amante, de Cavalli, ses qualités s’imposent. La souplesse, la longueur de voix des redoutables phrases de « The people that walked » (Messiah) le hissent parmi les meilleurs haendeliens. Quant au « Gratias » de la messe en sol majeur de Bach, il confirme que nous avons affaire à une grande pointure, dont l’aisance dans les trois langues est rare.
Imaginez le bonheur de la troisième mezzo des finalistes, 22 ans, n’ayant jamais participé à un concours, ni chanté avec orchestre, de se voir récompensée par le prix Génération Opéra (anciennement Centre Français de Promotion Lyrique), remis par Matthieu Rietzler ? Juliette Gauthier n’avait pas choisi la facilité. Le hasard avait voulu qu’elle et la lauréate chantent les mêmes œuvres, suscitant ainsi une comparaison positive… La jeunesse et l’expérience, mais un même engagement et, certainement, une belle promesse pour la benjamine, dont le Vivaldi a été remarquable d’aisance rayonnante. Aucun des deux autres finalistes n’a démérité. Une voix pleine, impressionnante d’autorité et de projection, Maximilien Hondermarck nous a valu un superbe « Deposuit », du Magnificat de Bach, comme des traits vivaldiens remarquables (Ottone in villa, « Che giova »), de son côté, Clémence Niclas a fait montre d’agilité et d’une technique sûre dans Purcell (The Tempest, « Dry those eyes ») pour finir par un éblouissant « In furore », de Vivaldi. Mais il n’y avait que trois place sur le podium… Souhaitons le meilleur à chacune et à chacun.
Rendez-vous est déjà donné pour la 12e édition du concours, du 22 au 24 septembre 2023, comme pour le Festival, du 3 juin au 8 juillet.