« Il était inenvisageable de ne pas proposer d’édition 2020 du festival Lyrique-en-Mer » martèle Marie-Françoise Morvan, la présidente du festival. « Les conditions en sont inédites, très contraintes, mais nous avons la chance de pouvoir proposer cinq programmes originaux, cet été à Belle-Ile ». Nous avons pu assister à trois de ces soirées:
À deux pas de la mer qu’on entend bourdonner,
Je sais un coin perdu de la terre bretonne
Où j’aurais tant aimé, pendant les jours d’automne,
Chère, à vous emmener !…
Cet extrait de « Paysage » d’André Theuriet aurait pu servir de point de départ au programme Reynaldo Hahn, évocation musicale de l’été 1912, imaginé par Philip Walsh, le directeur artistique pour la soirée d’ouverture du festival. Tous les adeptes de Belle-Ile le savent, la Chère – Sarah Bernhardt – en fut une prestigieuse estivante qui investit avec bonheur la Pointe des Poulains où elle accueillit ses intimes, dont le brillant compositeur.
Fabienne Marsaudon, venue en voisine, a crocheté un bien joli patchwork de textes à partir de la correspondance des artistes afin d’articuler une proposition généreuse de dix-neuf mélodies, exercice d’endurance pour la vaillante soprano Jazmin Black -Grollemund qui relève le défi avec grâce et sensibilité, une grande justesse dans l’émotion, soutenue par l’accompagnement attentif, plein de délicatesse et d’esprit de Philip Walsh. L’artiste américaine avait découvert la Bretagne lors d’une académie d’été du festival qui accueille chaque été de jeunes artistes venus d’outre-Atlantique ; elle n’est jamais repartie et se trouve particulièrement bien placée pour vanter les charmes de l’île d’autant plus qu’elle profite de beaux graves charnus dignes d’une mezzo, de pianis raffinés, d’un joli legato même si elle a tendance à détimbrer ses médiums dans ce répertoire. Mention spéciale pour « A Chloris », pour le « tango Habarena sous l’oranger » ainsi que pour « Paysage ».
Michael Martin-Badier prête sa voix à l’épistolier Reynaldo Hahn et évoque avec autant de retenue que de finesse la beauté de l’île, les promenades à pied ou en bateau, les soirées pluvieuses au coin du feu ou encore les somptueux couchers de soleil. S’installe alors un effet d’écho assez délicieux entre les silhouettes évoquées (Reynaldo Hahn, Sarah Bernhardt mais également Marcel Proust, Catulle Mendes ou encore Sacha Guitry et Yvonne Printemps), les trois artistes sur scène et enfin le public qui, tous, résident à Belle-Ile et connaissent parfaitement les lieux et les moments décrits.
C’est une Jazmin Black Grollemund rayonnante que nous retrouvons dans le cadre prestigieux de la citadelle pour incarner avec toujours autant d’intelligence expressive, Mimi, Chimène et – plus inattendu mais parfaitement réussi – Carmen. Cette soirée de Gala réunit six artistes lyriques, tous passés par l’académie du festival, autour du piano sensible de David Jackson au toucher rond et généreux. Les jeunes pousses prometteuses, sont désormais des professionnels confirmés. Les « hits » du lyriques se succèdent, que le public retrouve avec le plaisir d’une madeleine après tant de mois de sevrage musical.
Andrew Nolen est un formidable Leporello qui mâtine son catalogue d’un soupçon d’espièglerie. Comédien jusqu’au bout des ongles, il fait tant que « la piccina » semble vraiment là, face à nous. Son timbre rond et sensuel s’enrichit de mille nuances que l’on retrouve dans un somptueux extrait de Macbeth (« Come dal ciel precipita », Verdi, rôle de Banco).
Le tout jeune ténor Jean Miannay ravit par une émission claire et rayonnante, joliment ancrée et une présence pleine d’innocence qui donne beaucoup de fraîcheur à son Don Ottavio (Don Giovanni de Mozart, « Dalla sua pace ») et une émotion singulière au « Kuda, Kuda » de Lensky dans Eugène Onéguine.
Les deux hommes sont entourés de quatre femmes aux tempéraments aussi différents que brillants, choisies, elles aussi par Philip Walsh avec le talent qu’on lui connaît.
Eléonor Gagey, qui a découvert le chant lyrique enfant, au festival, est une magnifique Cenerentola (« Nacqui all’affanno e al pianto », Rossini). L’unité des registres est remarquable, tout comme la richesse des harmonies qui fait également merveille dans le rôle de Sesto (« Parto, parto », la Clémence de Titus de Mozart) où la redoutable vocaliste fait montre alors de beaucoup de sensibilité.
Les vocalises sont également simples formalités pour Louise Pingeot et Lauren Urquhart qui « coloraturent » à étourdir. La première ouvre le bal d’un « Salut à la France » (la fille du régiment de Donizetti) qui résonne comme une invitation à renouer avec le bonheur de la musique « live » après tant de mois de streaming imposé. Elle relève surtout le défi de nous faire entrer dans l’âme d’une Ophélie déboussolée (« à vos jeux mes amis », Hamlet d’Ambroise Thomas), avec une émission d’un grand naturel, des aigus glorieux et une diction impeccable tout au long de cet air si exigeant.
La seconde impose avec Linda di Chamounix (« O luce di quest’anima », Donizetti) l’évidence d’une projection tout en brillant et en lumière avant de clore la soirée en Musetta (La Bohème, Puccini), un rôle qui va comme un gant à sa présence mutine.
Le lendemain, David Jackson triple sa casquette de chef de chant accompagnateur de celle de concepteur d’une belle Schubertiade qui associe le compositeur viennois et ses successeurs admiratifs, de Louise Farrenc à Brahms en passant par Schumann. Autour du piano et d’un quintette à cordes de belle tenue, certains chanteurs sont moins à l’aise que dans le répertoire de la veille. On retiendra toutefois le poignant «Dicheterliebe (Schumann) de Jean Mianney ; les intenses « Doppelgänger » et « Der Tod und das Mädchen » (Schubert) d’Andrew Nolen ; les belles qualités de musicienne de Lauren Urquhart dans « Oh quand je dors » (Liszt) et accompagnée au violon par Nemanja Ljubinkovic pour « Der Hirt auf dem Felsen » (Schubert).
Un concert de musique sacrée en église ainsi qu’une programme jeune public commémorant les 250 ans de la naissance de Beethoven complètent cette programmation « covid compatible » à applaudir jusqu’à la mi-août.