Bizarre autant qu’étrange, ce concert de rentrée de l’Orchestre National de France, voulu comme un hommage à Giuseppe Verdi, qui s’achève par l’une de ses plus belles pages – le Te Deum dont la partition lui servit de coussin mortuaire – après avoir débuté par l’une de ses plus mauvaises – l’ouverture d’Aida, envisagée pour les représentations milanaises de 1872 et aussitôt abandonnée tant elle accumulait lourdement les convenances.
Bizarre, ce Mystère de l’instant de Henri Dutilleux qui vient se glisser dans le programme en fin de première partie, comme un cheveu peroxydé sur le minestrone, et laisse une impression indéfinissable, entre ennui, agacement et envoûtement. L’Orchestre national de France s’y montre plus éloquent que dans les Huit Romances de Verdi précédemment enfilées. Question d’accointances culturelles ou de sensualité, celle que Daniele Gatti insuffle à une partition inspirée par une promenade en forêt, entre Vienne et Loire. Voilà qui nous éloigne trop des rives du Pô pour ne pas paraître incongru dans le paysage de la soirée.
Etrange de disposer d’un des meilleurs ténors du moment et de ne lui proposer comme terrain d’expression que ces huit mélodies de jeunesse orchestrées par Luciano Berio. Une simple curiosité selon Daniele Gatti lui-même ; une étude préparatoire des scènes et airs d’opéras verdiens selon le programme dont on apprécie soit dit en passant l’exhaustivité des informations et la qualité des commentaires signés Gaëlle Le Dantec. Conscient sans doute de la faiblesse de ces compositions – qui ne sont pas pour autant faciles à interpréter -, Joseph Calleja les aborde avec un souci décuplé du détail comme s’il s’agissait de miniatures persanes. Hélas, si recherchée soit la palette de nuances, si marqué soit l’effort d’intentions, l’écriture, très centrale, empêche le chant de rayonner comme à son habitude. L’éclat même des quelques envolées lyriques apparait terni. Curieusement, la voix perd peu à peu ampleur et volume.
Après l’entracte, le concert trouve davantage de cohérence en regroupant des pages d’inspiration religieuse. Leah Crocetto, jeune soprano remarquée à Bordeaux en Leonora du Trouvere il y a trois saisons, y réussit ses débuts parisiens. N’était un aigu piano que l’on aimerait encore plus impalpable, le chant, charnu, égal sur la longueur, possède suffisamment de ferveur pour attiser l’« Ave Maria » d’Otello et suffisamment de force pour s’imposer face aux chœurs et à l’orchestre dans le « Libera me Domine ». Mais la véritable vedette de cette deuxième partie, c’est Daniele Gatti qui, le temps des quatro pezzi sacri réussit à transformer le Théâtre des Champs-Elysées en cathédrale. On sait la difficulté de rendre sacrée la musique quand elle est interprétée dans une salle profane. Traduire envers et contre l’esprit des lieux la piété de ces pages ambiguës, parfois apaisées, comme en apesanteur, détachées des choses terrestres, d’autre fois au contraire douloureuses, imprégnées d’humanité, secouées de révolte face à l’inexorable, quasiment théâtrales. Soudé comme un seul homme, le Chœur de Radio France sait aller d’un extrême sonore à l’autre, avec pour seule fragilité un pupitre de sopranos aux couleurs trop vives. L’Orchestre national de France semble rivé à la baguette de son directeur musical, le chef et son ensemble formant une matière intense et contrastée tandis que sous la coupole élevée il y a tout juste cent ans par Gabriel Astruc, passe, magnifique, le souffle de Dieu.