La présence de Laurent Naouri et un riche programme Ravel ont suffi à remplir l’opéra Berlioz – Le Corum.
Avant même que notre grand baryton apparaisse, avec un Philharmonique de Radio-France au mieux de sa forme, l’enchantement est là, créé par la baguette et la direction singulière de Santtu-Matias Rouvali. La gestique du très jeune chef finlandais est surprenante : c’est un ballet souple, aérien, une chorégraphie fluide d’une élégance féminine, à la limite du maniérisme, svelte et nerveuse qui s’accorde à merveille à la musique de Ravel. Supprimez l’orchestre, bouchez-vous les oreilles, vous reconnaîtrez sans peine les dessins d’Hoffnung et leur outrance. Mais là, aucun ridicule, la magie, tout simplement.
Le Tombeau de Couperin a-t-il été mieux joué ? On peut en douter tant la délicatesse, le modelé, l’énergie sont au rendez-vous, avec des bois superlatifs.
La modernité des Trois poèmes de Mallarmé, chambristes à souhait, demeure. Laurent Naouri est un diseur autant qu’un chanteur : Dans la longue phrase de « Soupir », son chant est retenu, toujours contrôlé et intelligible malgré les nuances ténues, avec une émission lisse, à la limite de la voix blanche parfois, du grand art. « Placet futile» est chanté avec une élégance digne des Bernac et Maurane. Quant à « Surgi de la croupe et du bond », toujours énigmatique, la voix se marie aux instruments du petit ensemble avec un bonheur rare.
Avec les Valses nobles et sentimentales, plus élégantes et raffinées que jamais, on est dans la dentelle et dans la sensualité, ce qui n’exclut ni la force ni les contrastes. Le bonheur du chef et des musiciens irradie. Le public est sous le charme. Une barque sur l’océan, dont Ravel faillit nous priver de l’orchestration, qu’il renia, pour mineure que soit la pièce, est une magistrale démonstration de son art. Les mouvements de la mer, la houle et les vagues sont peints avec luxuriance.
Les trois mélodies qui composent le Don Quichotte à Dulcinée ont fait le bonheur de tous les barytons, et surtout de leur public. La progression que souligne Laurent Naouri donne à ces pièces une jeunesse qui ferait presque oublier Gabriel Bacquier. De l’émotion sincère de la « Chanson romanesque » à la truculence de la « Chanson à boire », colorée à souhait, avec une projection admirable, tout est là. Quelle belle leçon de chant !
Le concert s’achève par la Deuxième suite de Daphnis. C’en est vraiment le couronnement : La direction féline de Santtu-Matias Rouvali fait merveille, souple, délicate et énergique, avec des progressions parfaites de maîtrise, des phrasés exemplaires de vie. Les flûtes, le violon solo font merveille. Le long silence qui suit les derniers accords témoigne de cette magie que l’on répugne à rompre. Le Philharmonique de Radio France est une splendide formation, parmi les meilleures, sinon la meilleure dans ce répertoire, et animée par cette direction attentive, exigeante et dionysiaque.