Il est loin le temps où, sur les scènes françaises, le ténor dans Tosca chantait « Le ciel luisait d’étoiles » au lieu de « E lucevan le stelle ». C’est dans cet air de Mario Cavarodossi, en italien, que Joseph Calleja porte au firmament provençal son art, aujourd’hui inégalé, de la demi-teinte. La nuit est étouffante, le public pétrifié, l’instant magique. Dans un programme très proche de celui qu’il offrait au public parisien en juin dernier, le ténor à Orange expose une nouvelle fois ce qui rend son chant entre tous précieux : cette manière de filer les sons qu’il maîtrise désormais à la perfection ; le rayonnement du timbre, immédiatement identifiable par son léger grelot ; la générosité avec laquelle il prend chaque air à bras le corps ; la projection ; la longueur ; une impression de force et de douceur. L’homme est un colosse, sa voix une caresse. Joseph Calleja a aussi appris avec le temps à soigner davantage l’expression. Dans un décor de cartes géantes, qui servira le lendemain pour Carmen, les airs se suivent et ne se ressemblent pas. Maurizio, Mantoue, Macduff, même esquissés en quelques minutes, ont chacun leur personnalité. Pourtant, on sent le chanteur embarrassé. Est-ce la chaleur de la nuit ? L’immensité du lieu ? Une fatigue passagère ? Le manque de répétitions qu’accusent plusieurs décalages ? Après « La dolcissima effigia » envisagée comme un tour de chauffe, « Questa o quella » est privé de cette pulsion qui, à Paris, faisait le Duc insolent. Puis une fois la mesure du théâtre antique prise, un léger incident dans « La paterna mano » freine le ténor dans son élan. Les aigus, toujours puissants, sont alors écourtés. La prudence devient de mise, y compris dans le duo de L’elisir d’amore, où l’ivresse de Nemorino reste sous contrôle. Dans la deuxième partie, Cavaradossi donc, et auparavant Federico, touchent à la grâce. Romeo voit ses ardeurs tempérées par une Juliette bêcheuse. Car autant le ténor paraît sincère, autant la soprano fait des manières ; et ce, bien avant cette « nuit d’hyménée » finale où l’incompatibilité vocale entre les deux chanteurs se confirme.
Joseph Calleja, Ekaterina Siurina © Choregies d’Orange
Juchées sur platform shoes, Gilda, Norina, Amina jouaient déjà les mijaurées. Une manière pour ces héroïnes romantiques de masquer leurs insuffisances techniques ? L’absence de notes piquées chez l’une, de suraigu chez l’autre, l’imprécision de la vocalise, les cadences simplifiées… Indéniablement, le canto spianato sied mieux que le fiorito à cette voix dont on peut aimer l’acier effilé. A moins que ces attitudes trop empruntées ne soient un moyen de dissimuler le trac qui oblige Ekaterina Siurina pour chanter Musetta, à s’aider d’une partition dont le vent tourne les pages.
Enrique Mazzola dirige l’Orchestre de Lyon en virtuose. L’ouverture de Roberto Devereux bombe le torse ; l’intermezzo d’I Capuleti e Montecchi rutile et cavale… Il faut ravir l’auditoire en peu de numéros. Telle est la loi de ce genre de concert où la recherche d’efficacité l’emporte sur la subtilité. Sans perdre de temps, la soirée se referme sur trois bis, dont le duo de Norina et Ernesto où, s’affranchissant de sa partenaire, le ténor maltais laisse une dernière fois dans le ciel scintiller l’étoile de sa voix.