Bonus de charme à l’Opéra Comédie de Montpellier avec ce concert hors programme du pianiste Alphonse Cemin et de la soprano Julie Fuchs, tous deux lauréats HSBC de l’Académie du festival d’Aix (respectivement 2010 et 2014). Deux chansons de Cole Porter (« So in love » et « Sing to me Guitar » constituent une traîne inattendue aux quinze mélodies françaises qui forment le corps du concert, où Francis Poulenc et Louise de Vilmorin se tailleront la part du lion. Fauré et Debussy font jeu égal au nombre de mélodies, trois chacun, mais ce sont celles de Claude de France qui nous captiveront, avec un « Clair de lune » dont le piano fait une estampe, « Pierrot » qui fait voir une pantomime jusqu’à la vocalise finale telle un envol, et une « Apparition » où la puissance de suggestion de l’actrice multiplie la fascination née des mots.
On le sait, les poèmes mis en musique constituent des pierres d’achoppement pour tout interprète, des épreuves qualifiantes sur le plan de la diction, de la sensibilité et de la personnalité. Si, dans ce parcours d’obstacles, quelques envolées vers l’aigu semblent réalisées en force, l’essentiel du discours est d’une convaincante séduction. Piani suaves et sons filés prouvent à l’envi la maîtrise. La rondeur du timbre gorgé d’harmoniques se love au creux de l’oreille et l’intelligence de l’interprète fait le reste. Cette chanteuse d’aujourd’hui se soucie de la réception des textes : en quelques mots adressés à l’auditoire elle dit pourquoi elle les a choisis. Que les poèmes de Louise de Vilmorin la touchent, dans leur version musicalisée par un Francis Poulenc complice, c’est une évidence immédiate, tant Julie Fuchs restitue, à travers la souplesse constante du discours musical, la sincérité paradoxale de ces bouffées d’âme. Elle fait renaître l’alliance d’une élégance hélas disparue, où fantaisie et gravité, pudeurs et aveux, se mêlent à une sensualité discrète mais réelle, dans le jaillissement des bonheurs d’écriture de l’une et de l’autre.
Cet apparent naturel, le piano d’Alphonse Cemin en donne l’illusion, dans un « Mouvement » tiré du premier livre d’Images de Debussy, puis après le cycle Vilmorin dans la pièce Mélancolie, où Francis Poulenc entre Schubert et Chabrier ouvre son cœur mais garde ses distances. Après les deux Cole Porter, qui semblent relever d’un exutoire personnel de Julie Fuchs, les trois bis accordés par les artistes (Nuit d’étoiles, de Debussy, de My fair lady « Je veux toujours danser » en français et L’âme des poètes de Charles Trenet) scellent une soirée marquée par la grâce.