La crise du Coronavirus aura fait sombrer d’innombrables rendez-vous culturels mais ne sera pas venue à bout du Concert de Paris – pas tout à fait, au moins. La huitième édition de cette soirée exceptionnelle et désormais incontournable, donnée sous la Tour Eiffel et retransmise en direct sur France 2 avant le traditionnel feu d’artifice du 14 Juillet, a bien pu se tenir, au prix d’un sacrifice : celui du public, la Mairie de Paris et la Préfecture de Police ayant considéré que l’accueil d’une foule sur le Champ-de-Mars ne pouvait être compatible avec les règles de distanciation sociale. C’est forcément dommage d’ôter à l’événement sa dimension populaire, et sans doute un peu triste de jouer devant un terrain nu, comme le confieront plusieurs artistes à leur sortie de scène. Devant la scène, une marée de projecteurs et de caméras a pris place sur la pelouse jaunie, ainsi qu’une petite estrade d’où Stéphane Bern assure le lancement des différences séquences. Autour du plateau et derrière les solistes, les techniciens, les musiciens et les quelques invités autorisés font la claque pour pallier l’absence d’applaudissements ; voir toutes les équipes embarquées dans la réalisation de la soirée se serrer ainsi les coudes fait chaud au cœur mais, comme dit le poète, une Marseillaise sans voix par milliers, c’est comme une faisselle sans gelée de cassis : ça manque un peu de saveur…
Et cependant d’immenses efforts ont été faits pour conserver autant que possible les bonnes habitudes des années précédentes : la Marche Hongroise extraite de La Damnation de Faust de Berlioz ouvre toujours le bal, et la fiévreuse orchestration de la Marseille due au même compositeur vient clore la fête comme il se doit. Entre les deux, quelques grands tubes (extraits de La Traviata, de La Wally et de Nabucco, pages bizarrement assemblées du Premier Concerto pour piano de Tchaïkovski) sont les points de repère d’un programme qui, fête nationale oblige, fait honneur au répertoire français : un superbe « Au fond du temple sain » permet de mesurer la complicité artistique qui unit les tempéraments et les timbres de Ludovic Tézier et Benjamin Bernheim, ce dernier revient charmer les pierres pour un très tendre « Ah lève-toi soleil ! », et Fatma Saïd évite les excès de cabotinage dans « Des filles de Cadix » de très bonne tenue. Un soupçon de cross-over, également, reste de mise : après la « Mamma » revue par Roberto Alagna l’année dernière, c’est cette fois à Ludovic Tézier de rendre hommage à Aznavour, avec une « Bohème » à la nostalgie jamais larmoyante, la béninoise Angélique Kidjo se joint à la troupe pour « la Marseillaise » et Sonya Yoncheva marche tout à la fois dans les pas de Piaf et de Callas, faisant siens les couplets de « L’Hymne à l’amour » avant d’offrir les diaprures de son timbre à « Ebben ? Ne andro lontana ».
Du côté des instrumentistes, Khatia Buniatishvili retrouve, comme l’année dernière, le mouvement lent du 23e Concerto de Mozart, cette fois pour accompagner la fameuse chorégraphie d’Angelin Preljocaj… dont il est nous est affirmé qu’elle respecte, jusque dans le langoureux baiser qui en constitue l’acmé, les règles de sécurité relatives à la prévention du Coronavirus ! A côté de la violoniste Lisa Batiashvili et de la jeune trompettiste Lucienne Renaudin Vary, c’est Sol Gabetta dont la fougue et la justesse dans les extraits du 2ème Concerto pour violoncelle de Lalo, retiennent toute l’attention. Surtout, nous restons admiratifs devant la qualité des interventions du Chœur et de la Maîtrise de Radio France, et l’engagement de l’Orchestre National de France, sous la baguette précise mais parfois un peu sage de la jeune sud-coréenne Eun Sun Kim : si notre collègue Jean Michel Pennetier notait il y a quelques jours qu’à l’occasion de leurs retrouvailles, les forces de l’Opéra de Paris accusaient quelques faiblesses, aucune défaillance n’est ici à déplorer. Mieux, une page aussi rebattue que « Va pensiero » trouve ce soir, au milieu de toutes les difficultés qui frappent les artistes de plein fouet, une force qui met les larmes aux yeux. La série « Le temps retrouvé », qui a permis, depuis le mois de juin, aux musiciens de Radio-France de redonner des concerts, sans public d’abord, devant des audiences réduites ensuite, a tenu ses promesses : garder intacte la qualité des phalanges pour laisser le dernier mot à la musique. Près de trois millions de téléspectateurs ont pu en profiter ; dans la période actuelle, c’est plus qu’une bonne nouvelle – un rayon d’espoir !
Le concert peut être revu à cette adresse : https://www.francetvinfo.fr/culture/musique/opera/concert-de-paris-du-14-juillet-sans-public-un-beau-programme-a-suivre-sur-france-2-france-inter-et-culturebox_4043525.html