… Et bouleversée ! Le voyage narratif des Wesendonck Lieder ne peut laisser de marbre. A la Philharmonie de Paris, la soprano russe investit ces pages de son timbre cuivré et chatoyant et d’un recueillement extrême. Sont-ce les réminiscences de ses Brangäne, est-ce le contexte si troublant pour tout interprète russe aujourd’hui ? Avant Im Treibhaus, elle prend une longue minute, les yeux fermés, avant d’à peine esquisser un hochement de tête vers le chef qui la couvait du regard. Si Ekaterina Gubanova est bouleversée, son chant ne défaille pas et atteint une justesse interprétative profonde. Le souffle, le phrasé sont souverains. La beauté du timbre se maintient même quand la ligne se tend ou que son centre de gravité se déporte vers l’aigu, comme justement dans la première partie d’Im Treibhaus. Surtout le texte vit, sans effet ostentatoire. Chaque piano, chaque rugosité trouve sa juste place alors que l’orchestre bruisse ou souligne le geste vocal en symbiose, signe de la maestria du chef. Ekaterina Gubanova, fidèle aux scènes parisiennes depuis de nombreuses années, sera accueillie par des bravi mérités.
Le retour de Kent Nagano dans le fosse de l’Opéra de Paris, après bien des années d’absence, faisait déjà l’événement autour de l’entrée au répertoire de A quiet place, dans son ultime orchestration. Judicieuse idée de programmation que de lui avoir proposé de diriger l’orchestre de l’Opéra le temps d’une soirée à la Philharmonie. Le concert s’ouvre par une curiosité où les amoureux de Lucia di Lammermoor retrouvent l’harmonica de verre dans une œuvre diaphane et inquiétante de Jörg Widmann où ces étranges disques de verre tiennent la vedette. Les gestes millimétrés de Kent Nagano permettent à l’orchestre de trouver un mordant et un son compact impressionnant dans cette œuvre créée à Salzbourg en 2007.
Ariadne auf Naxos ne se donne presque plus, à l’exception de quelques festivals cherchant à se démarquer, que dans sa version avec le prologue lyrique. Pourtant, à sa création, on donnait Le Bourgeois gentilhomme agrémenté d’intermèdes du même Richard Strauss. C’est cette suite orchestrale que le chef américain choisit en deuxième partie, manière de faire de l’opéra sans le vouloir. Il ne s’agit pas des pages les plus mémorables ou inspirées du compositeur mais elle permettent aux solistes de l’Orchestre de l’Opéra de Paris de briller – hautbois et violoncelle en tête – cependant que la formation se frotte avec bonheur aux diverses viennoiseries et pastiches XVIIIe en épousant le geste toujours aussi épuré et juste du chef.