Le Fonds Tutti (anciennement Fonds Unisson) vient en aide à de jeunes chanteurs à l’orée de leur carrière, particulièrement affectée par les perturbations récentes du spectacle vivant. Ce soutien passe par des aides financières et par le programme Tremplin : 8 chanteurs de moins de 36 ans ont eu la chance de travailler avec des protagonistes internationaux. Le concert de gala de ce soir est venu clore cette louable et généreuse initiative. Le programme alterne plusieurs ensembles : les jeunes artistes entre eux – avec leur mentor – les mentors entre eux. L’exercice est périlleux, tant les lauréats pourraient souffrir de la comparaison avec leurs glorieux ainés. Mais après tout, pourquoi les préserver d’une comparaison qui s’impose déjà à eux lors d’auditions ? Voyons ce concert comme un espace protégé, dans lequel la supériorité de l’un sert d’émulation, de voie à suivre pour l’autre.
Commençons par reconnaitre que cette promotion 2022 est d’un excellent niveau. Nous n’avons pas repéré de talents nous semblant bientôt capable d’égaler leur parrain, mais ils ont encore du chemin à parcourir, et sans doute aurions-nous dit de même en entendant leur maître au même âge. Nous ne pouvons témoigner de la progression de ces chanteurs au sein du programme, mais au moins la sélection aura-t-elle été bien faite. Tous peuvent sans rougir chanter sur une scène nationale, y compris dans des rôles de premier plan.
Pour couvrir ce récital censé aider de jeunes chanteurs à trouver de futurs contrats, nous ne pointerons pas ce qui nous a moins plus. Leur mentor a certainement déjà attiré leur attention sur les points à améliorer. Signalons plutôt ce qui nous semble être leurs qualités principales, celles qui les distinguent dès aujourd’hui : Alexandre Baldo brille surtout par la couleur de son timbre et la suavité de son émission, on regrette que les morceaux retenus ne l’aient pas davantage mis en valeur ; Lyriel Benameur jouit d’un bel ambitus et de nobles intonations de tragédienne ; Camille Chopin rayonne par le naturel de son émission et la délicatesse de son jeu ; Anouk Defontenay marque par la solidité de sa technique ; Astrid Dupuis se fait remarquer par son ardeur et sa présence sur scène ; Claire de Monteil par sa prononciation affutée et l’assurance de ses aigus ; Antoin Herrera Lopez Kessel charme par son agilité et son goût du risque, tandis qu’Elsa Roux-Chamoux remporte la palme de l’équilibre : si l’actrice est encore timide, c’est celle qui nous convainc néanmoins le plus de son potentiel par la probité de sa technique, sa diction, la beauté simple de son timbre, et la justesse de son émission.
© Emilie Brouchon
Saluons ensuite l’engagement des stars qui ont accepté de consacrer temps et énergie pour aider ceux dont ils ont sans doute partagé la situation précaire il n’y pas si longtemps. Et de l’énergie, ils n’en économisent pas ce soir, même devant environ 200 personnes seulement. Parlons vite de leur prestation, car ils s’en voudraient eux-mêmes d’éclipser leur protégé. Etienne Dupuis est aussi fantastique qu’en Hérode quelques jours plus tôt : diseur de grande classe, maniant l’humour avec tact, projection suprême donnant l’illusion du naturel, on ne lui reprochera qu’un manque de netteté dans les vocalises. Avec Nicole Car, ils nous offrent le plus beau moment de la soirée : comme dans le Massenet cité, c’est dans les emportements dramatiques que celle-ci est la plus époustouflante et son duo avec Onéguine est captivant au point de nous donner le sentiment de comprendre le russe sans sur-titres. Clémentine Margaine campe une Carmen puis une Cornelia splendidement caverneuses et sentencieuses. Elle n’hésite pas ensuite à se jeter dans l’arène de la Gioconda avec une Anna Pirozzi qui peine à adapter le volume de sa voix aux dimensions de la salle et de l’accompagnement, mais qui nous donne diablement envie de l’entendre rugir dans le rôle face à un orchestre. Nous ne goutons guère le style de Marco Berti, mais force est de reconnaitre que la puissance de sa voix est surhumaine. Mathias Vidal, Anne-Sophie Duprels (remplaçant Marie McLaughlin souffrante) et Nicolas Courjal ont choisi des parties peu exposées qu’ils tiennent avec leurs qualités habituelles en prenant soin de ne pas déséquilibrer les ensembles. Citons que le dévouement de ce dernier est allé jusqu’à tenir le guichet le soir-même !
Un mot enfin pour citer les très bons accompagnateurs, dont Sélim Mazari que les lecteurs de ForumOpera connaissent surtout pour sa capacité à couper le cheveu en quatre.