Pour son ouverture officielle le BOF (Belcanto Opera Festival), qui s’étend cette année du 16 au 26 juillet, propose un concert avec en vedette Marianna Pizzolato, une invitée régulière du Festival Rossini de Bad Wildbad. Le pétillant Reto Müller, président de la Société Rossini d’Allemagne et collaborateur de la Fondation Rossini, a conçu un des programmes dont il a le secret, où il associe de vraies raretés à des pages célèbres dans un rapport dont la pertinence est toujours indiscutable. Ainsi, les ouvertures de Tancredi, La gazza ladra et L’Italiana in Algeri succèdent à des versions alternatives d’airs fameux tirés de ces œuvres. L’intérêt du lyricomane curieux est encore rehaussé par la personnalité de la soliste, car pour ce qui est de l’orchestre force est d’admettre qu’on reste un peu sur sa faim. Auto-défini comme Les virtuoses de Brno, cet ensemble à géométrie variable nous avait semblé, d’une année sur l’autre, acquérir et conserver des qualités qui rendaient ses prestations plus qu’honorables en dépit d’une lourde charge de travail. Aurait-on cette année atteint les limites que les musiciens peuvent supporter ? José Miguel Pérez-Sierra a-t-il eu assez de répétitions ? Il sert la dynamique et les lignes, autant que possible les climats, mais ne peut rien contre un manque de subtilité On le regrette pour lui car on se souvient de la réussite de Ricciardo et Zoraide.
Mais le public est d’abord venu pour Marianna Pizzolato, et le lui prouvera par ses acclamations renouvelées. Il faut dire qu’en dépit de la chaleur de sauna la cantatrice sicilienne donne l’illusion d’une fraîcheur physique et vocale à toute épreuve, qui ne sera jamais démentie tout au long du parcours d’épreuves. D’entrée son « O patria » nous met Tancredi sous les yeux, avec une émotion d’autant plus dense qu’elle est contenue par la pudeur rossinienne. Et d’entrée nous sommes admis à jouir et du timbre, de l’étendue et de la maîtrise technique qui définissent la voix de Marianna Pizzolato. Comme un tailleur de luxe déploierait à nos yeux séduits une étoffe précieuse, tout ensemble veloutée et chatoyante et d’une souplesse propre à volutes et drapés, le son développe sa caresse ou impose son mordant, dans une richesse harmonique gorgée d’hormones. C’est ainsi que la physiologie mène à l’art. Mais qu’on ne se méprenne pas : l’hédonisme sonore, qui conduit parfois certains chanteurs à sacrifier le sens, n’a pas cours avec cette interprète, dont la diction reste toujours claire. Première curiosité, une version alternative du même air d’entrée avec violon obligé et voix en écho. Au plaisir de la découverte – même si la version consacrée nous parle infiniment plus – s’ajoute celui de la présence en scène de la violoniste, Liga Kuzmane, et de l’écho en la personne de Marina Viotti, fille du regretté chef d’orchestre. Seconde curiosité, des variations écrites par Rossini pour Giuditta Pasta pour le final de Tancredi, où suivant la pratique alors courante elle remplaçait l’air original par un extrait du Conte di Lenosse de Giuseppe Nicolini. Soutenue par le chœur d’hommes du Camerata Bach Chor de Posen, Marianna Pizzolato semble se délecter à ciseler cette cavatine qui, il faut bien l’avouer tant sa supériorité sur les scènes finales écrites par Rossini dans les versions de Venise et de Ferrare ne s’impose pas, ferait douter de la sûreté du goût de La Pasta.
Après le drame noble et héroïque, La gazza ladra offre les récréations de la chanson à boire de Pippo, dans la version originale de Milan et après l’entracte dans une version écrite pour Naples où elle devient récitatif et cavatine, occasions pour la soliste de montrer sa versatilité d’actrice, car même en concert elle communique directement la vivacité et la sensibilité du personnage, avec une sûreté dans l’émission qui laisse bouche bée. Avec L’italiana in Algeri on se retrouve en terrain connu, du moins le croit-on alors qu’il s’agit d’abord de l’air d’entrée d’Isabella composé pour Vicenza, suivi de la scène où Isabella renvoie Taddeo dans les cordes, ou plutôt Pompeo puisque le soupirant malheureux est ainsi appelé dans une version napolitaine. Deux élèves de l’Académie de Chant, le tenor Cesare Arrieta en Lindoro et la basse Marco Simonelli, en Pompeo, sont ses faire-valoir avec le chœur masculin déjà cité. Ce n’est qu’avec le rondo « Pensa alla patria » que l’on retourne à l’original de la création vénitienne. Point n’est besoin sans doute d’insister sur le travail de broderie auquel se livre Marianna Pizzolato, dans un délicat équilibre entre contrôle et lâcher prise dans l’orgie vocale conçue par Rossini. Plénitude, homogénéité, ductilité, souplesse, étendue, allant de pair avec une austérité stylistique qui bannit les excès faciles, tandis que la voix monte et descend et voltige de trille en roulade avant de s’étirer jusqu’à nous couper le souffle, la chanteuse compose un de ces moments dont leur brièveté et leur fragilité augmentent le prix. Quand le monde vacille autour de nous, il y a l’art de Marianna Pizzolato la dentellière. Aux ovations qui déferlent elle répond par deux bis, l’air d’Isabella « Tutti la vogliono » prolongeant le registre comique et la reprise de « Di tanti palpiti » peut-être encore plus prenant de force émotive. Que les absents se consolent : le concert a été enregistré en vue de la publication, à un date encore indéterminée, d’un CD.