2017 aura été une année doublement jubilaire pour la Philharmonie de Paris : après la quarantaine atteinte par l’Ensemble intercontemporain en mars dernier, voici que l’Orchestre de Paris fête son demi-siècle. Pour l’occasion, il s’agit implicitement de faire mieux que le premier, en mettant les petits plats dans les grands. Réunir un public convié gratuitement pendant deux soirées autour d’un programme plutôt exigeant, tel est le pari lancé par Daniel Harding. A l’image de sa première année de mandat, le directeur musical de l’Orchestre nous propose en effet une sélection de chefs d’œuvres du XXe siècle, qui ferait passer Debussy pour un ancêtre.
La soirée s’ouvre avec fastes et fracas. La Sinfonia de Berio, un classique du répertoire contemporain, réunit l’orchestre au grand complet. De ce plateau particulièrement chargé, Daniel Harding tire toutes les sonorités qu’il souhaite, ménageant les contrastes incessants de la partition avec brio. La battue est à l’image du reste de la soirée: précise, et acérée, un rien corsée, ce qui n’est pas encore un problème pour Berio. Le son des huit solistes des London Voices est emblématique de ces chœurs qui évoluent dans le sillage des Swingle Singers : virtuoses mais en même temps relativement peu classiques dans l’émission du son. Les voix blanches, dénuées de tout effet « opéra » qui serait ici hors propos, se fondent à merveille dans le mille-feuille de cette Sinfonia. Le compositeur appréciera ces ensembles vocaux au point de leur consacrer plusieurs opus, notamment les célèbres Cries of London.
La question de la transition entre le mastodonte contemporain et la Symphonie de Psaumes toute néo-classique de Stravinsky ne se pose pas seulement pour le public. En effet, il faut déménager un orchestre qui se réduit de moitié mais s’arme de chœurs pour la suite. Pour meubler la petite dizaine de minute qui accompagne le travail acharné des régisseurs et le bavardage distrait du public, le Poème symphonique pour cent métronomes de Ligeti semble l’illustration d’une course contre la montre particulièrement appropriée.
Lors d’un anniversaire, il est également de bon ton de présenter les artistes-phare de la saison. Avec le directeur musical et le chef de chœur, c’est donc aussi le compositeur en résidence qui a son mot à dire dans le programme. Jörg Widmann fait sa première apparition de la soirée en tant qu’interprète de sa propre Fantasie pour clarinette seule. Hautement virtuose, la pièce est un catalogue charmant et amusant d’effets contemporains: multiphoniques, portamenti, registres extrêmes… autant de cabrioles qui sont les bienvenues avant le sérieux de Stravinsky.
Ce sérieux orthodoxe (mais latin) de Stravinsky, il s’illustre avant tout dans la prestation du Chœur de l’Orchestre de Paris. La partition pourtant exigeante a fait l’objet de tant de soin qu’elle nous est présentée par cœur, chose rare pour de la musique écrite après 1900. Musicalement, retenons surtout les beaux tutti du premier mouvement et le son de groupe soigné pour les « Alleluia » du troisième. A l’orchestre, Harding joue toujours à domicile, le compositeur russe figurant régulièrement à son répertoire. Cependant, le chef semble plus à l’aise dans la précision musclée du « Laudate Dominum » que dans les échos lumineux d’un Stravinsky penchant du côté de Bruckner. De véritables piani ne seront envisageables que pour les dernières mesures, alors qu’un peu plus de retenue aurait été bienvenue dès l’arrivée du Si bémol Majeur.
L’entracte fait place à Jörg Widmann, qui ne revient cette fois-ci seulement en tant que compositeur. La pièce Au cœur de Paris, commandée spécialement pour l’occasion est un hommage à la vie (musicale) parisienne. Les citations de Piaf, d’Hubert Giraud mais aussi d’Offenbach baignent dans un kitsch assumé qui amuse la salle. Peut-être un peu décevante pour celui qui s’attendait à l’œuvre du siècle (ou au moins de la décennie), la pièce doit être prise pour ce qu’elle est : un joli gâteau d’anniversaire.
La Mer debussyste vient solennellement couronner la programmation pourtant déjà étourdissante. Au bout d’un marathon éprouvant, la battue de Daniel Harding fatigue par endroits, et l’orchestre faiblit avec lui. Mais les belles textures des deux premiers mouvement (malgré un tempo plutôt allant) achèvent de dissiper nos quelques réserves.
Pour se quitter et en guise de digestif pour ce programme copieux, quoi de plus chic qu’un triple bis ? Un hommage à la musique dans l’orchestration de An die Musik de Schubert (par le même Berio), un hommage à Stravinsky avec ce finale de l’Oiseau de feu (merci au cor d’André Cazalet), et un hommage à l’Orchestre jubilaire, avec un « Joyeux anniversaire » entonné par un public nombreux et conquis !