Fortunio que nous propose l’Opéra de Rennes, en coproduction avec Limoges est un hommage au made in France et à la qualité de ses musiciens. De la fosse au plateau, tous les artistes sont hexagonaux et offrent une soirée délicieuse aux spectateurs venus applaudir l’œuvre délicate de Musset et Messager.
Emmanuelle Cordoliani enfonce le clou en transposant ce Chandelier dans la France limougeote des années soixante, avant que mai 68 ne vienne ébranler le ronron confortable de la bourgeoisie de province, ses compromissions, ses petites lâchetés et son grand ennui.
La satire de cet univers assoupi est toutefois plus attendrie que méchante ou poussiéreuse. Les superbes costumes de Julie Scobeltzine convoquent d’ailleurs irrésistiblement Jacques Demy et sa légèreté acidulée. Les hommes jouent à la pétanque sur la place avant de regarder leurs boules s’envoler jusqu’aux cintres. Les enfants s’éclaboussent dans la fontaine et leurs mères sortent de la messe dans un ensemble virevoltant avant d’aller récupérer le sacro-saint gâteau dominical chez le pâtissier. Ainsi à l’arrière plan, les membres du chœur, toujours finement dirigés par Gildas Pungier, déclinent tous les poncifs de la vie de province et animent la scène de manière aussi pimpante que souriante.
Dans ce décor planté avec charme, les chanteurs sont très à l’aise et l’homogénéité du plateau vocal mérite d’être soulignée. Bénédicte Tauran est impeccable, vocalement comme scéniquement. La voix dotée d’un timbre franc, parfaitement couvert sur tout l’ambitus, ne connait aucune faiblesse. Sa Jacqueline évoque bien naturellement une Emma Bovary ou mieux encore l’héroïne des Caprices de Marianne. On comprend que ce « cœur qui n’a pas d’histoire » aspire à vibrer et, sans minauderie, la cantatrice donne une jolie profondeur à son personnage.
Autour de cette reine des abeilles gravite toute une constellation d’hommes campée par des artistes fort talentueux.
Christophe Berry profite d’une partition merveilleuse qui se teinte de poésie dès qu’il entre en scène. L’air d’entrée de son Fortunio dit déjà sa nature délicate et poétique. Avant même que le personnage ne rencontre Jacqueline, le public lui est acquis ! Le ténor utilise ce matériau avec une grande sensibilité. Il a de jolis graves, ne cravate absolument pas et possède un beau legato. Seul le vibrato – un peu rapide – est à déplorer. Le « chandelier » de l’histoire, c’est lui : un amoureux naïf et trop timide pour rien tenter, censé détourner sur lui les soupçons d’un mari jaloux tandis que l’amant en titre peut roucouler en paix. C’est Marc Scoffoni qui enfile le costume fringuant du capitaine Clavaroche, avec la verve vocale et scénique qu’on lui connait. Il s’amuse visiblement de ce personnage plutôt antipathique, à qui il offre sa voix longue, nuancée et parfaitement timbrée. Ce séducteur sans grand scrupule quitte finalement la scène un chandelier à la main, laissant Jacqueline et Fortunio partager l’émoi d’un amour sincère.
Franck Leguérinel et Christophe Gay ne déparent pas dans cette galerie masculine et pirouettent sans forcer le trait. Servis par des dictions particulièrement convaincantes, ils jouent, l’un le barbon, l’autre le zazou, avec autant d’humour que de simplicité.
L’intelligence des caractères brossés par Musset alliée à la subtilité d’écriture de Message régalent les spectateurs. Sous la légèreté du propos, souvent l’émotion vraie affleure … tout comme les accents d’un drame possible. L’orchestre de Bretagne, dirigé par Claude Schnitzler, fait son miel du raffinement de la partition, et nuance avec délicatesse les intermittences du cœur qui agitent le plateau.
Prochaines représentations à l’Opéra de Rennes le mardi 4 et jeudi 6 février 2014 à 20h