Drôle d’idée que de présenter Tosca en version de concert. Le procédé d’habitude est plutôt réservé aux ouvrages difficiles à représenter ou trop peu connus pour remplir une salle plusieurs soirs de suite. Puis il y a tellement de théâtre dans cet opéra que le priver de mise en scène apparaît comme une hérésie. Erreur. C’est précisément parce que la partition de Tosca a le geste large qu’elle peut supporter l’absence de décors, de costumes et de de scénographie. Si le drame se dresse ce soir avec autant d’acuité, c’est aussi parce que la direction de Gianandrea Noseda possède une théâtralité remarquable. De concert (c’est le cas de le dire) avec les Chœur et Orchestre du Teatro Regio, le chef, dont on a pu déjà apprécier le travail ici-même – notamment les Vêpres siciliennes en 2011 – ne se contente pas d’exacerber les contours de la partition pour lui insuffler vie; il l’empoigne, il l’étreint sans jamais la violenter. Et ça marche ! Les accélérations soudaines (la scène de torture), les spasmes qui sporadiquement secouent l’orchestre n’ont rien de vulgaire ; ils sont l’essence même du récit, son centre nerveux. Tosca n’a jamais eu l’encéphalogramme plat.
Les chanteurs, eux aussi, sont suffisamment bons comédiens pour suppléer l’absence de mise en scène. Des entrées et sorties bien réglées, quelques gestes à propos suffisent pour que l’on feuillette ce polar lyrique avec autant d’intérêt que lorsqu’il est représenté. Pourtant aussi remarquable interprète soit Svetla Vassileva, il n’est pas certain que Tosca soit son meilleur rôle. On gardait un excellent souvenir de sa Francesca da Rimini la saison dernière à l’Opéra de Paris (voir recension) mais, dans Puccini contrairement à Zandonai, trop de fantômes viennent parasiter l’écoute. Idéale de silhouette et de tempérament, la soprano peine à adapter sa voix à une tessiture plus grave qu’il n’y parait. Combien de répliques attendues passent ainsi à la trappe car trop basse sur la portée : « Sogghigno di demone », « Or gli perdono », « Ecco un artista »… Revient aussi, dès que l’aigu est sous tension, ce vibrato exagéré qu’un « vissi d’arte » sensible et nuancé ne compense pas.
Même constatation chez Lado Atanelli : l’acteur l’emporte sur le chanteur. Trop de décalages et d’erreurs d’intonations rendent dispensable ce Scarpia à l’aigu vainqueur mais à la ligne hachée et à la palette pauvre en couleurs.
De Spoletta à Macerata en 2008 (voir recension), Riccardo Massi est passé aujourd’hui à Cavaradossi. La promotion est méritée. Avec ses faux airs de Jean Dujardin, le ténor n’est pas qu’un « artist » : le chant, puissant, s’appuie sur un medium solide. L’aigu est souvent pris en dessous mais, une fois passé la barre, il tient la rampe. Le ton est assuré, le legato soigné. Le timbre sans être des plus brillants possède un grain égal. « E lucevan le stelle » transforme l’essai de « Dammi i colori ». Le « Vittoria » balancé et tenu à pleins poumons comble les amateurs de sensations fortes. Sans surprise, l’applaudimètre place Massi sur la seconde marche du podium, juste après Noseda.