Pour ouvrir la première saison dont elle est seule responsable à Montpellier, Valérie Chevalier a fait le choix courageux d’un ouvrage rare d’un compositeur dont on ne joue plus réellement que deux titres. Même Saint-Etienne n’a pas jugé bon de remonter Chérubin, c’est dire si une reprise française de cet opéra de Massenet était judicieuse. Hélas, ce plongeon en eaux méconnues risque de ne pas éclabousser autant qu’on pouvait l’espérer.
Tout d’abord, on aurait aimé que le public se montre plus curieux, pour cette première où l’Opéra Comédie était loin de faire le plein. Sans stars, il est de plus en plus difficile de déplacer les foules, mais espérons que cela ne vaudra pas à Chérubin de sombrer à nouveau dans l’oubli (en France, du moins, car l’œuvre a été donnée avec succès sous d’autres latitudes). Ensuite, la production montpelliéraine est-elle la mieux faite pour imposer le retour de cette œuvre ? Rien n’est moins sûr. Pourtant, au lever du rideau, les choses commencent plutôt bien. Que Juliette Deschamps ait choisi de se dispenser de toute allusion à l’Espagne et au XVIIIe siècle, on peut le comprendre : ces deux univers ne sont plus en 2015 les objets de fantasmes qu’ils étaient un bon siècle auparavant. Transposition donc, vers l’univers des villas californiennes peintes par David Hockney, ici recréé par les décors de Macha Makeïeff, qui citent A Bigger Splash (1967). Ce monde de piscines ensoleillées où tous les plaisirs sont permis aurait sans doute pu servir de cadre à l’action imaginée par Francis de Croisset, si l’œuvre n’était pas écrasée sous une multiplicité de références – Lolita (pour la sucette de Nina, peut-être), Théorème de Pasolini, La Confusion des sentiments, et bien d’autres encore –, dont ne se dégage pas vraiment une vision cohérente. Les costumes fantaisistes et bariolés de Vanessa Sannino mélangent allègrement les époques et jouent sur l’indétermination des identités sexuelles : Chérubin a pour modèle Marlene Dietrich en smoking et talons hauts, le Philosophe arbore frac et tutu, le Duc tricote et porte des tenues androgynes. Quatre danseurs omniprésents surlignent l’action mais s’abstiennent surtout de danser dès lors que le livret prévoit un ballet. On se trémousse même pendant des airs où l’émotion devrait affleurer, et la mise en scène a décidé de résolument déniaiser une intrigue qui y perd sa poésie et sa sensualité.
Dans ces conditions, on ne s’étonnera pas que Marie-Adeline Henry compose un Chérubin dur et peu à même de susciter la sympathie. On admire la densité du timbre dans le grave et la puissance de l’aigu, mais l’on n’est hélas pas touché par le personnage. Malgré son déguisement de petite fille et la brièveté de son rôle, Norma Nahoun parvient à émouvoir, avec une voix infiniment plus légère mais qui se marie bien avec celle du héros. Dernier élément du trio féminin central, Çiğdem Soyarslan offre une parfaite aisance en scène à cette Ensoleillad qui se serait peut-être mieux accommodée d’un style plus proche de l’opéra-comique français que de Mozart dont la soprano turque est une habituée. Philosophe-meneur de jeu, Igor Gnidii séduit notamment par la noirceur de son timbre, mais l’on s’étonne de certaines voyelles trop ouvertes chez ce chanteur qui se produit pourtant souvent en France. Parmi tous les petits rôles qui gravitent autour d’eux, on distinguera l’Aubergiste bien dessiné de Jean-Vincent Blot et le Comte fougueux de Philippe Estèphe. Reconvertie dans des emplois où ses talents d’actrice comptent plus que sa voix, Michèle Lagrange semble à la peine dès qu’elle doit plier un registre aigu difficilement contrôlé à l’articulation de phrases rapides. Préparé par Noëlle Gény, le Chœur de l’Opéra s’acquitte dignement de sa mission, tandis que l’Orchestre national Montpellier Languedoc-Roussillon sonne admirablement dans la fosse, dirigé avec finesse par le chef canadien Jean-Marie Zeitouni qui, grâce à l’amour qu’il porte à Massenet, réussit à rendre sensible les beautés de cette musique et le charme de passages comme le duo unissant Chérubin et l’Ensoleillad au deuxième acte. Merci à tous les artistes de s’être jetés à l’eau, même si la piscine reste un peu froide, même si l’on espérait un plus gros plouf, comme aurait dit Hockney.