Volée de bois vert pour Olivier Py à l’issue de cette représentation d’Idomeneo au Festival d’Aix-en-Provence. Le public semble ne pas avoir apprécié la transformation des palais et rivage crétois en échafaudages de métal. Ou peut-être a-t-il été dérangé par les ficelles épaisses d’une démonstration qui use de prisonniers Noirs à la place de Troyens, de mitraillettes et d’un seau de sang (dont se barbouille à plaisir Elettra à la fin de l’opéra) pour nous faire réaliser la portée actuelle – et donc universelle – du drame. Dans un cas comme dans l’autre, on comprend le mécontentement des spectateurs (sans cautionner les huées qui accueillent Olivier Py au moment des saluts).
En mélangeant mythe – le dieu Neptune qui apparaît, trident en main, chaque fois que son nom est évoqué – et réalité – costumes et accessoires contemporains – le metteur en scène embrouille le propos sans pour autant le renouveler. Quant au dispositif, qui tient à la fois du jeu de Mécano et de la robe Paco Rabanne, même si par sa modularité il offre un décor différent – ou presque – à chaque scène, il ne se contente pas d’être laid ; il nécessite l’intervention perturbante de machinistes chargés à la fin de chaque tableau de préparer le suivant. Il présente aussi l’inconvénient de réfléchir la lumière. C’est donc à moitié aveuglé que l’on assiste aux affres du roi Idoménée et de sa cour. Et pourtant, malgré ces défauts, malgré la durée de la représentation – plus de trois heures – allongée encore par l’adjonction du Ballet dans une chorégraphie également chahutée – on ne voit pas le temps passer. A cause de la scénographie qui donne à ressentir derrière chaque geste ; à cause des interprètes, qui même réduits par l’éclairage à l’état de silhouette, hantent leur personnage ; à cause des voix…
Celle de Yann Beuron, Idamante fait ténor pour « rendre plus sensible le rapport père-fils », nous vaut le moment le plus intense de la soirée, un « Non temer amato bene » en état de grâce. Et bien plus encore, un prince, sanglé dans une latinité qui n’est pas vraiment sienne (ce qui donne tout de même quelques sueurs froides, un trille figé et de la raideur dans les vocalises) mais à l’élégance suprême avec une utilisation habile de la technique, poitrine ou mixte, pour distinguer le fils de l’amant et des sons raffinés à l’extrême dont on avait, depuis Léopold Simoneau, oublié la douceur. Dans le combat qui l’oppose à son père, un tel Idamante prend le pas sur son géniteur, fût-il interprété par Richard Croft. Le ténor américain connaît pourtant son Idoménée sur le bout des doigts (il est le titulaire du rôle dans la dernière version intégrale enregistrée1) jusqu’à varier l’impossible « Fuor del mar ». Le timbre n’a rien perdu de sa superbe, le legato reste souverain, l’art vocal consommé et pourtant voilà un roi qui n’en parait pas un, paradoxalement un peu terne, en manque d’expression, trop discipliné peut-être là où ses partenaires font preuve de plus d’imagination. La personnalité vocale de Xavier Mas s’accommode mal du rôle d’Arbace dont heureusement on a supprimé le deuxième air (« Se cola ne’fati è scritto »). Mireille Delunsch tire Elettra vers ces grandes figures tragiques qui parcourent les mythologies, une sœur de Médée en quelque sorte, dépourvue d’humanité avec un « Tutte nel cor » déjà démesuré qui la place immédiatement dans un cercle maléfique. La fureur de « D’oreste, d’Aiace », même barbouillé de sang, en perd de son impact. Reste l’incendie vocal que la soprano allume, ce chant de succube, impressionnant, empli d’amertume et de folie aux accents vitriolés et aux couleurs violemment contrastées. La musicalité hors pair de Sophie Karthäuser réalise des prodiges. La respiration est parfois désordonnée (effet de trac, surtout dans les airs qui ouvrent le premier et troisième acte ?) mais son Ilia limpide est tout sauf cette « oie blanche égarée dans la tragédie » à laquelle – ça tombe bien – Olivier Py refuse de réduire le personnage. Et si le « Zeffiretti lunsighieri » semble en mal de poésie, la faute n’en revient pas à la soprano dont la plénitude et la pureté du son ne sont pas à remettre en cause, mais au tempo, curieusement rapide, choisi par Marc Minkowski. Seule erreur de parcours dans une direction au rythme personnel mais toujours vivante qui rend l’œuvre de Mozart palpitante de la première à la dernière note.
1 dirigé par René Jacobs chez Harmonia Mundi (HMC 902036.38) ; lire la critique de Sylvain Fort.