L’Opéra de Paris reprend la production de La Cenerentola de Rossini créée en 1968 par Jean-Pierre Ponnelle et remontée pour la première fois in loco la saison dernière. Disons-le tout de suite, ce n’est pas elle qui nous fait sortir sourire aux lèvres et l’esprit plus léger. Non pas que ce qui se passe sur scène soit déshonorant ou gênant. On ne reviendra pas sur l’aspect visuel suranné noté par Christophe Rizoud l’an passé : les décors en noir et blanc font toujours leur petit effet, tout du moins au début, l’œil se lassant ensuite assez vite de la grisaille ambiante. Le dispositif a surtout l’inconvénient de rejeter les chanteurs systématiquement en avant-scène. Nous n’insisterons pas non plus sur les toilettes ni très élégantes ni très décalées que l’on croirait tout droit sorties d’un Walt Disney un peu fané. Non, le plaisir se trouve ailleurs, mais n’est pas moins vif, grâce aux interprètes réunis ce soir.
Pour cette série de représentations (une autre équipe officiera en février-mars) la direction à été confiée à Riccardo Frizza. Le chef italien connaît bien ce répertoire et mène l’Orchestre de l’Opéra à bon train. Certes on pourra chicaner sur une ouverture qui manque un peu d’effervescence, ou des tempi parfois un peu vifs qui à l’occasion laissent les chanteurs en route (Marianna Pizzolato ne peut suivre dans l’ensemble « Cenerentola vien qua, Cenerentola va’ la »). Ce serait oublier le travail effectué sur les couleurs de l’orchestre (les vents acidulés !), la parfaite retranscription des divers climats de l’œuvre, de la mélancolie au comique le plus débridé, et les ensembles réglés comme du papier à musique. On retrouve cette même exigence de précision dans le chœur d’hommes. On fera également mention particulière du claveciniste qui anime les récitatifs avec malice.
Si l’on devait formuler une réserve commune sur les tourtereaux du soir, ce serait un léger déficit de puissance qui les fait parfois disparaître dans les ensembles. Pour le reste c’est un bonheur de retrouver Marianna Pizzolato dans le rôle-titre qu’elle a chanté dans la Mecque rossinienne, à Pesaro, en 2010 (voir notre recension). Les qualités notées alors sont intactes, dont une grande volubilité de la vocalise et une belle rondeur de son. On a entendu graves plus fournis et projection plus insolente, mais, rien à faire, cette Cendrillon nous touche toujours autant par le rayonnement mordoré de la voix, dans laquelle transparaît toute la douceur rêveuse du personnage. Son amoureux, Don Ramiro, a la silhouette longiligne de Maxim Mironov. La voix n’a rien d’héroïque, et il ne faut pas rechercher ici d’aigus trompétants ou de phrasés tranchants. A ce titre, la comparaison avec Antonino Siragusa, le titulaire du rôle de la seconde distribution, s’annonce passionnante tant leurs personnalités vocales semblent opposées. Mais le ténor russe a d’autres atouts à faire valoir, à commencer par une belle unité de registres et un soyeux jusque dans le suraigu : un prince certes un peu effacé mais non moins charmant.
Les clefs de fa sortent également le grand jeu. Et en premier lieu le couple Dandini (Nicola Alaimo) et Don Magnifico (Bruno de Simone) qui fonctionne parfaitement scéniquement et vocalement : on sent une réelle complicité entre l’ogre bonhomme et le roquet excité. Déjà présent à Pesaro dans le même rôle il y a deux ans, le premier est dans une forme éblouissante pour cette première. Le baryton campe un valet fat et truculent à souhait et vocalement enthousiasme par une souplesse et une aisance dans le chant syllabique impressionnantes. En Don Magnifico, Bruno de Simone, vieux briscard des rôles bouffes rossiniens fait – étonnamment – ses débuts à l’Opéra de Paris ce soir. La voix est certes peu colorée mais la projection arrogante et l’interprète connaît toutes les ficelles : ses imitations des quémandeurs de faveurs (et notamment de la petite bonne femme) sont un moment de pur burlesque. Le sage Alidoro trouve en Adrian Sâmpetrean un interprète bien chantant, à la vocalise aisée. Sa grande scène « Si tutto cangerà » est à ce titre très applaudie. Manque pour notre parfait bonheur une couleur plus sombre : ce précepteur au timbre barytonnant voudrait plus de creux. Enfin les deux sœurs, Claudia Galli, Clorinda pointue à l’abattage scénique certain, et Anna Wall, Tisbe plus moelleuse mais non moins drôle, sont caricaturales à souhait. Rossini est à la fête à Paris. Profitons en tant qu’il est encore temps, ça n’arrive pas si souvent !