Pour inscrire à son répertoire la désormais omniprésente Cendrillon de Massenet, le festival de Glyndebourne en avait confié la mise en scène à Fiona Shaw, le spectacle ayant été créé en tournée à l’automne dernier avant d’arriver dans le théâtre qui fête cette année son 25e anniversaire. Après y avoir monté The Rape of Lucretia, l’actrice britannique revient donc pour une œuvre bien différente, qu’elle aborde avec une intelligence certes appréciable, mais qui semble hélas priver le « conte de fées » d’un peu de sa magie, écrasée sous la distanciation technologique : au deuxième acte, dans un décor de miroirs virevoltants, Cendrillon apparaît au Prince comme une sorte d’hologramme, présente mais inaccessible, et le duo de leur rencontre les maintient terriblement loin l’un de l’autre. Le brio avec lequel est menée l’entreprise séduit à plusieurs reprises, mais un certain nombre de partis pris n’en paraissent pas moins regrettables.
Malgré tout, c’est surtout sur le plan musical que les options relèvent du malentendu, comme si la spécificité de la partition de Massenet n’avait pas été vraiment comprise. La direction de John Wilson est globalement trop rapide, ce qui a pour effet de rendre le texte à plusieurs reprsies inintelligible : de ce fait, c’est le style même que l’on perd, car il s’agirait de dire en musique alors qu’ici, on cède trop souvent à la tentation de faire du son au lieu de faire du sens.
Danielle de Niese, Kate Lindsey © Glyndebourne Productions Ltd. Photo: Richard Hubert Smith
C’est d’autant plus dommage que le livret d’Henri Cain est fort bien écrit et que son humour est savoureux. Hélas, le comique lié à la marâtre et aux demi-sœurs de Cendrillon devient assez épais dans cette production, au détriment du texte qui passe au second plan derrière les effets visuels : les trois personnages, comme sortis d’Absolutely Fabulous, deviennent de proches parentes des fashion victims imaginées par Jennifer Saunders et Dawn French, Madame de la Haltière adoptant même une perruque reproduisant la coiffure de Patsy. Sauf que les personnages de Massenet, ridicules à force de suffisance, sont ici odieux et vulgaires. La distinction hautaine dont ces trois-là sont entièrement dépourvues, c’est la Fée qui la manifeste, ce qui la prive curieusement de son caractère protecteur et quasi maternel. Quant à nous projeter dans le rêve de Cendrillon, et nous montrer (presque) toute l’histoire comme se déroulant dans son esprit, pourquoi pas, mais l’héroïne devient alors excessivement active, ce qui colle mal avec la personnalité timide et tremblante qu’elle exprime dans ses airs. Une Cendrillon espiègle, qui s’imagine un prince-rock star auquel elle donne les traits d’une servante de la maison (avec laquelle elle échangera à la fin un baiser passionné), voilà qui convient beaucoup mieux à la personnalité de Danielle de Niese, jadis irrésistible Cléopâtre de Haendel sur cette même scène, mais cela nous emmène loin du conte. L’idée de jouer sur l’ambiguïté sexuelle du prince avait déjà été utilisée dans une production montée à Fribourg : là où le littéralisme d’antan exigeait que le prince, étant un personnage masculin, ait une voix d’homme (Nicolaï Gedda dans l’intégrale CBS gravée en 1979), l’évolution des mœurs fait aujourd’hui que, si le prince a une voix de femme, il doit en être une ! Le timbre opaque de Kate Lindsey s’épanouit bien mieux dans son répertoire que dans les travestis mozartiens, malgré des aigus parfois un peu trop à découvert. Nina Minasyan avait enchanté les spectateurs parisiens lorsqu’elle avait succédé à Pretty Yende dans Lucia di Lammermoor à Bastille : on ne retrouve guère ici les qualités alors déployées, l’extrême aigu paraissant bien strident, sans parler de la dureté imposée au personnage par la mise en scène. Agnes Zwierko est polonaise comme Ewa Podleś mais n’a rien du raffinement de sa compatriote, Madame de la Haltière étant affligée d’un fort vibrato où la ligne de chant se noie. Lionel Lhote est un Pandolfe jeune et très en voix, doté d’une diction superlative, mais la production ne l’aide en rien à traduire l’émotion qui devrait jaillir des scènes où il exprime sa détresse ou son affection pour sa fille. Julie Pasturaud, déguisée en mère Groseille de La Vie est un long fleuve tranquille, et Eduarda Melo, à peine moins grotesquement attifée, complètent la présence francophone de la distribution.
L’accueil du public ayant été extrêmement enthousiaste, on souhaitera cependant que d’autres Massenet soient présentés à Glyndebourne ; ses œuvres sérieuses devraient moins avoir à pâtir du franchissement de la Manche…