Animé de la volonté de « casser les codes avec des concerts pédagogiques pour les grands », le chef Mathieu Herzog a lancé depuis 2021 à la Seine Musicale une série de concerts sur mesure « Vous trouvez ça classique ». Au cours de ces représentations supposées durer 1h15, le chef alterne des extraits de l’œuvre avec des explications sur la partition ou la vie du compositeur afin que le public néophyte s’en imprègne plus aisément, sans rien céder à l’exigence artistique d’un concert classique. Samedi dernier, ce fut au tour de Carmen d’être ainsi décortiquée, pour la plus grande joie des grands mais aussi des enfants qui étaient nombreux à être venus découvrir la célèbre Bohémienne, même si le spectacle dura presque 2h. Et Mathieu Herzog ne dérogea pas à la règle de l’excellence, tant du point de vue de sa direction que par la performance vocale du plateau d’une très grande homogénéité, très grande qualité, servi par la génération des étoiles montantes de l’art lyrique.
© DR
La direction du chef impressionne par la fougue qu’il insuffle dès l’ouverture à son ensemble Appassionnato qui sonne merveilleusement dans la salle de l’auditorium, révélant la grande complicité qui les lie. Très attentif à l’équilibre sonore avec les chanteurs, il ralentit ensuite les tempi, ciselant avec délicatesse les ppp de la partition. Mathieu Herzog a tenu magistralement la tension et l’attention des spectateurs tout au long de la représentation jonchée d’explications limpides sur les thèmes principaux, la définition d’un tremolo et d’une seconde diminuée illustrée par l’orchestre, ou encore sur la vie de Georges Bizet et surtout sur la personnalité des différents protagonistes qu’il prenait soin de présenter avant leur entrée.
Disons-le d’emblée, Adèle Charvet est née pour être Carmen. Son port altier, sa démarche, son regard précédèrent la beauté de son timbre cuivré sensuel et chaud qui se déploya avec grâce dans la « Habanera ». Vêtue d’une robe rouge éclatante, elle ne fit qu’une bouchée de Don José près des remparts de Séville où la jeune mezzo-soprano fit preuve d’une belle homogénéité de registres avec ses graves colorés, envoûtants sans être poitrinés. C’est avec le même charme, la même élégance et toujours la même justesse qu’elle déploiera toute sa musicalité dans l’acte II, aussi bien dans les « Tringles des Cistres tintaient » que dans le quintette. Si l’extrême tessiture du dernier acte ne lui permet pas encore d’y déployer pleinement la puissance démontrée précédemment (elle n’a que 28 ans et toute la vie devant elle pour que ce soit le cas), son engagement scénique, son incarnation et son interprétation font du duo final l’un des grands moments de la soirée. Elle sera dans un proche avenir l’une des plus grandes interprètes du rôle. Le brigadier était interprété par le jeune ténor chilien de tout juste 29 ans, Diego Godoy, qui apprenait le rôle depuis seulement…10 jours. Indépendamment de cette prouesse, on ne peut qu’être sous le charme de cette voix déjà puissante et colorée, capable de beaucoup de nuances. Diego Godoy eut même la délicatesse de respecter le ppp à la fin de l’Air de la fleur. Son autre prétendante n’eut rien à envier à sa rivale. Jeanne Gérard est une somptueuse Micaela. Dans le duo « Parle-moi de ma mère » de l’acte I, la pureté de son timbre délicieux régala l’audience d’aigus aériens. Puis elle se métamorphosa pour son grand air, où une colère puissante l’emporta sur la peur avec une grande détermination qui se traduisit par des aigus puissants et glaçants.
A noter aussi l’excellente performance d’Eleonore Pancrazi et d’Amélie Raison, respectivement Mercédès et Frasquita. Le grand air du Toréador ne fut pas présenté pendant le spectacle en lui-même mais entonné vaillamment par Sergio Villegas-Galvain (qui interprétait aussi le Dancaïre face au tout aussi vaillant Remendado d’Arnaud Rostin-Magnin) et repris en chœur par la salle pour clôturer en beauté cette belle représentation.