C’est à sa progression dramatique, jusqu’au final paroxystique, que l’on peut juger la réussite d’une Carmen. Facile me direz-vous, au vu d’un livret d’une telle efficacité. Pourtant quelques ratés récents (dont la dernière Carmen à l’Opéra de Paris) rappellent que des moyens importants ne suffisent pas pour y parvenir.
La production de Gilles Bouillon créée en 2008 et reprise aujourd’hui à l’Opéra de Tours ne joue pas la surenchère. Les décors de Nathalie Holt restent simples, deux grands murs et quelques treillis métalliques pour le premier acte, une cour avec une caravane pour le repère de Lilas Pastia et, pour les deux derniers actes, un panneau publicitaire à la gloire du toréador agrémenté en fond de scène de quelques feux lumineux rouges à l’acte 3 et un rideau rouge entrouvert pour l’acte final. Après un premier acte un peu plat, la mise en scène prend consistance, tout en restant très traditionnelle. L’aspect glamour l’inspire visiblement moins que la violence qui affleure de plus en plus : le final de l’acte 3 atteint à ce titre une intensité quasi insoutenable. La dernière scène reprend quant à elle un gimmick récurrent avec une mort en décalage avec le climax musical : Carmen n’est d’ailleurs pas poignardée mais égorgée quasi tendrement par Don José. Mais ce qui peut être agaçant ailleurs marche ici grâce à la direction d’acteur fouillée.
Il faut dire qu’il a à disposition deux protagonistes qui n’ont pas peur de s’engager, en particulier Florian Laconi en Don José. On pourra trouver que le ténor en fait parfois un peu trop, notamment en termes de volume sonore. Pourtant, ce brigadier au timbre plus clair qu’habituellement appelle surtout des compliments : diction française d’une grande clarté, investissement dramatique constant (encore une fois, son « Je te tiens fille damnée » est glaçant). Techniquement le rôle est parfaitement assumé, jusqu’au si bémol tant redouté (ou attendu, c’est selon) de « La fleur que tu m’avais jetée ».
Sa Carmen est rousse et atypique. On a pu lire le nom d’Andrea Hill dans les distributions de l’Opéra de Paris. Elle a de fait été membre de l’Atelier Lyrique et est régulièrement distribuée dans de petits rôles dans cette maison (on peut citer sa participation aux dernières productions de Francesca da Rimini, Lulu, ou La Veuve Joyeuse). Sa prise de rôle en Carmen est donc un baptême du feu. La mezzo britannique a de belles qualités à faire valoir dont un timbre soyeux et une véritable présence scénique. Il ne faut cependant pas attendre d’elle quelque outrance : les graves ne sont jamais appuyés et la chanteuse n’use d’aucun effet vocal aguichant pour rendre sa bohémienne plus sexy. Cette Carmen n’en a pas moins du caractère, séductrice mais pas vulgaire. Tout juste regrettera-t-on un volume sonore un peu en retrait par rapport à ses partenaires et un manque de poids vocal dans les scènes les plus dramatiques (telle celle des cartes).
Face à de tels protagonistes, le reste de la distribution tient son rang, n’était l’Escamillo décevant de Sébastien Soulès. Le baryton est quasi inaudible dans sa chanson de l’acte 2 et manque singulièrement de brillant ailleurs. La Micaëla de Vannina Santoni est très chaleureusement applaudie. Si elle peut compter sur une voix pulpeuse et un volume sonore confortable, sa diction est peu intelligible et ses aigus forte sonnent de façon agressive dans cette salle de dimension moyenne.
Les seconds rôles sont comme toujours à Tours bien distribués : Frasquita et Mercédès percutantes de Chloé Chaule et Albane Carrère, Dancaïre (Ronan Nédélec) et Remendado (Vincent Ordonneau) truculents à souhait et enfin Zuniga sonore bien qu’en délicatesse avec les aigus de Vincent Pavesi. Les Chœurs biens préparés sonnent parfois un peu maigres (notamment le chœur d’enfants quelque peu clairsemé).
On garde pour la fin un des artisans majeurs de la réussite de ce spectacle prenant. Jean-Yves Ossonce, à la tête de son Orchestre Symphonique Région Centre-Tours, maintient une tension musicale tout au long de la représentation. On pourrait rêver parfois couleurs plus chatoyantes, notamment un prélude de l’acte 3 plus charmeur, mais ce ne sont que des détails : le chef ne perd jamais le fil du destin de Carmen, courant avec elle à sa perte, et nous entraînant à sa suite.