La dernière soirée de la saison de l’Opéra Bastille coïncidait avec la dernière représentation de Carmen. Pour cette occasion, la distribution a été modifiée, du moins pour les deux principaux rôles féminins et Don José. A l’origine en effet le spectacle devait être diffusé place de la Bastille sur grand écran mais ce projet a dû être abandonné pour des raisons de sécurité, en revanche, France 3 l’a retransmis en léger différé et il est visible sur Culturebox.
Créée à Peralada en 1999 et reprise ensuite dans plusieurs villes d’Europe, la production de Calixto Bieito a déjà été largement commentée dans nos colonnes. Rappelons que le metteur en scène espagnol situe l’action de nos jours. Le plateau est nu. seuls quelques éléments de décor évoquent les différents lieux où évoluent les personnages, une cabine téléphonique et un mât pour le premier acte, une voiture pour le deux, plusieurs voitures – toutes des Mercedes, le clin d’oeil est savoureux – pour le trois ainsi qu’un gigantesque taureau en bois comme on en voit en Espagne pour vanter une boisson alcoolisée et enfin au quatre juste un cercle dessiné à la craie sur le sol, sorte d’arène imaginaire à l’intérieur de laquelle Carmen et Don José vont s’affronter. Pas de parade dans cet acte, massés à l’avant-scène, figurants et chœurs regardent passer un défilé invisible.
Les soldats sont en uniformes, les hommes en costume cravate et les trois personnages féminin arborent des tenues sexy à des lieues des robes à volants que l’on voit d’habitude. Au début du quatre un torero entièrement nu se prépare au combat, La direction d’acteurs souligne la sexualité effrénée des militaires ainsi que leur brutalité et celle des contrebandiers.
© Vincent Pontet / Opéra national de Paris
Musicalement, c’est la version de la création qui nous est proposée avec quelques dialogues parlés en lieu et place des récitatifs de Guiraud. Dommage qu’une partie de la musique de Bizet soit également passée à la trappe, ce qui rend abscons certains passages, par exemple le duo entre José et Escamillo au troisième acte ne comporte plus qu’un seul couplet, par conséquent leur duel n’a eu qu’une unique manche, du coup on perd le double sens de la réplique du toréador « Et nous jouerons la belle le jour où tu voudras,,, »
Dans les seconds rôles nous retrouvons avec plaisir Le Dancaïre et le Remendado de Boris Grappe et François Rougier, épatants tous les deux, le Moralès ombrageux de Jean-Luc Ballestra, le Zuniga menaçant de François Lis et les délicieuses Vannina Santoni et Antoinette Dennefeld, hilarantes dans leur numéro de nymphettes éméchée et impeccables vocalement.
Très en forme, Ildar Abdrazakov campe un Escamillo hâbleur et charmeur à la fois. Doté d’un timbre sombre de basse chantante et d’un aigu facile sa voix bien projetée lui permet de donner une interprétation convaincante de son air et d’obtenir un beau succès au salut final.
Maria Agresta campe une Micaëla sûre d’elle aux moyens presque trop larges pour le rôle, La voix en impose au point que son « Je dis que rien ne m’épouvante » chanté à pleins poumons n’évoque pas vraiment la jeune fille pudique et réservée que cette page est censée suggérer. Elle affronte sa rivale Carmen d’égale à égale, une conception du personnage qui peut se défendre, après tout.
Roberto Alagna revient pour un soir endosser les habits de Don José, tout auréolé de son succès dans Turandot à Londres qu’il interprétait encore le 14 juillet. Le ténor fait valoir un medium large et solide qui confère à son personnage un côté héroïque comme en témoigne sa « Fleur que tu m’avais jetée » chantée à pleine voix et couronnée par un aigu forte triomphant. Excellent acteur, Roberto Alagna nous livre une performance captivante qui culmine dans une scène finale d’une intensité dramatique saisissante où il se montre tour à tour suppliant et menaçant dans un face à face paroxystique avec une partenaire à sa hauteur,
En effet, pour son unique Carmen à Paris, Elīna Garanča nous offre une prestation mémorable. Il n’était guère aisé pourtant de succéder à Anita Rachvelishvili dans ce rôle. Si elle ne possède pas la sensualité exacerbée de sa consœur, la mezzo-soprano lettone dispose d’autres atouts, un timbre chatoyant et homogène, un legato impeccable qui transforme sa habanera en un lied subtil et entêtant et un tempérament aguerri qui lui permet d’exécuter les jeux de scène les plus scabreux voulus par Bieito sans aucune vulgarité, avec un chic qui n’appartient qu’à elle. Elle campe son personnage avec une certaine distanciation au début puis s’investit progressivement dans l’action jusqu’à la scène finale, où, on l’a dit, elle se révèle bouleversante.
Les Chœurs, impeccables– leur prestation au début du quatrième acte leur a valu une ovation – et l’orchestre étaient placés sous la direction énergique et précise de Mark Elder.