Y a-t-il eu beaucoup d’opéras qui ont été donnés en public, en cette période, en Europe (… et même dans le monde) ? Carmen représenté vendredi 20 novembre à Monaco, aura peut-être été le seul.
Monaco résiste au covid. Opéras et concerts sont maintenus. La culture s’accroche au Rocher. Elle tient bon. Applaudissons !
Dans la grande salle du Grimaldi Forum – construite au dessous du niveau de la mer – le public était bien sûr masqué et assis avec une alternance de sièges vides. Rassemblés en ce lieu au milieu d’une planète culturelle à l’arrêt, nous avions l’étrange impression d’être les rescapés d’une catastrophe qui aurait réduit au silence le reste du monde.
Au long des répétitions, les choristes avaient gardé le masque, les participants avaient régulièrement été testés, un sens de circulation avait été établi dans les coulisses pour éviter aux musiciens et chanteurs de se croiser. Et c’est ainsi que le rideau put se lever sur Carmen.
La mise en scène de Jean-Louis Grinda, directeur de l’Opéra de Monte-Carlo, reprenait celle qu’il avait présentée à Toulouse l’an dernier. L’histoire y est traitée à la manière d’un flash-back. Carmen est tuée dès le début, pendant l’ouverture. Don José revit ensuite l’enchaînement des événements qui l’ont conduit au crime.
Jean-François Borras et Aude Extremo © Alain Hanel-Opéra de Monte-Carlo
Ni espagnolade, ni folklorisme, le décor est abstrait, constitué de deux grands panneaux concaves délimitant au fur et à mesure les espaces scéniques au milieu desquels évoluent les personnages en habit XIXème. siècle. La fin est impressionnante, lorsque se joue sur le devant de la scène la mise à mort de Carmen et, dans fond, en vidéo, celle d’un toro dans l’arène ! La juxtaposition des deux est d’un bel effet théâtral.
Dans cet opéra où les cartes ont leur importance, nous a été servi un carré d’as – les quatre interprètes de Carmen, Don José, Micaela et Escamillo, Aude Extrémo, Jean-François Borras, Anaïs Constans et Adrian Sâmpetrean.
Avec eux (les trois premiers surtout) on éprouve le bonheur d’un beau chant français à l’élocution claire. Pour une fois, dans la « Fleur que tu m’avais jetée » le « tu » n’est pas un « tou » !
Aude Extrémo est simple à qualifier : c’est LA voix de Carmen. En un article tout est dit ! En Jean-François Borras, les Monégasques étaient émus de retrouver celui qu’ils avaient connu jadis comme « petit chanteur » de leur cathédrale. Il est devenu un ténor puissant, à la carrure internationale et au chant élégant.
En Anaïs Constant, on admira l’énergie et la musicalité avec lesquelles elle a fait rayonner le rôle de Micaela. En Adrian Sâmpetrean la vaillance avec laquelle il a fait exploser les couplets du toréador. Dans la salle se trouvait quelqu’un qui, jadis, avait été mémorable en ce rôle, Ruggero Raimondi.
Les chœurs eurent belle allure. Quant au magnifique Philharmonique de Monte-Carlo, le chef Frédéric Chaslin sut obtenir de lui les couleurs que réclame la musique de Carmen – et cela malgré des tempos de la habanera et la séguédille qui nous ont paru trop lents.
Telle est l’histoire d’un « Carmen » dont le covid n’aura pas eu la peau !