Autant de Carmen, autant de propositions qui ne partagent guère que la musique de Bizet, avec ou sans les récitatifs de Guiraud, sinon la caractérisation des personnages… Paul-Emile Fourny, qui signe la mise en scène, a fait le choix de la version originale. Dès le prélude, il nous rappelle qu’il y a folie meurtrière suivie de crime. Dans le cabinet d’un psychiatre, un patient, en camisole de force, est accompagné par une infirmière, que l’on identifiera ensuite comme Micaëla. « Sur la place, chacun passe… » sera le lieu où le crime a été commis. Deux corps, devant un théâtre où une compagnie monte l’œuvre de Bizet, font l’objet des relevés de la police scientifique. Ainsi, Don José endosse-t-il l’imperméable d’un inspecteur de police (meurtrier qui sera confondu), et sommes-nous transportés dans les années d’après-guerre. Fidèles à l’esprit de l’ouvrage, quelques dialogues ont été réécrits pour accompagner judicieusement ce détournement policier, dramatiquement efficace. Rien de changé pour ce qui relève de la psychologie des personnages et des ressorts du drame passionnel. A signaler, outre la saveur de ces textes, l’insertion du Desdichado de Nerval, dans la bouche de Lilas Pastia, saluée par le public comme une aria. La direction d’acteur, soignée, sachant composer des tableaux renouvelés et donner vie à chacun, n’appelle que des éloges. Outre les solistes, les mouvements du chœur retiennent l’attention par leur inventivité. La sortie des cigarières (« la cloche a sonné ») – reconverties en habilleuses, qui vont en griller une – est un premier moment de bonheur. Le quintette « Nous avons en tête une affaire », au rythme du galop d’un cheval, a pour cavalières Frasquita et Mercédès, sur le dos du Dancaïre et du Remedado, Carmen au centre. Ce qui pourrait être trivial devient ici la course débridée et joyeuse de la bande. Le dénouement « C’est toi ? C’est moi », concis, sobre, acquiert toute sa puissance dramatique, l’émotion est au rendez-vous.
le quintette © Luc Berteau – Opéra Théâtre de Metz Métropole
Tout a été conçu pour permettre à la production de s’adapter aisément aux scènes des co-producteurs (Jesi, Massy, Reims, Avignon et Clermont-Ferrand). Les décors soignés et ingénieux de Benito Leonori, servis par des éclairages bienvenus de Patrick Méeüs, assortis de costumes contemporains à la transposition, autorisent de belles scènes, qui servent l’action et la musique.
Habanera, séguedille, chanson bohême, dans toutes les oreilles, ne suffisent pas à faire une Carmen crédible. Ici, la qualité du chant, aux aigus colorés comme aux graves solides, du timbre, de la diction (malgré certains « é » fermés qui surprennent), et du jeu dramatique emportent l’adhésion. Mireille Lebel, mezzo canadienne, mérite d’être davantage connue en France. Voix sonore, ample et souple, elle traduit remarquablement le caractère farouche, indépendant de Carmen comme son évolution jusqu’à sa mort annoncée. Son intervention dans le trio des cartes, tout comme la scène finale sont chargés d’émotion. Appréciée dans la récente production de la Bastille, Gabrielle Philiponet passe avec bonheur de Frasquita à Micaëla. Elle se signale par son aisance, la fraîcheur de sa voix et de son jeu. Tendre, réservée, dans son duo avec don José, son air « Je dis que rien ne m’épouvante » est d’une tenue exemplaire. Capucine Daumas (Frasquita) et Cécile Dumas (Mercédès) s’accordent à merveille, vocalement et dramatiquement. Tout juste gagneraient-elles à approfondir leurs danses pour leur donner davantage de naturel.
Faible et courageux, vaillant, tourmenté, le Don José de Sébastien Guèze nous touche par sa sincérité. Sa voix parlée est celle d’un comédien aguerri. Par contre, son émission souffre de la tension quasi permanente qu’il s’impose. La voix est souvent étranglée, non seulement dans les moments paroxystiques, ce qui pourrait se justifier, mais aussi dans les passages plus lyriques, où elle s’altère quelque peu. Régis Mengus campe sans histrionisme un Escamillo de qualité. Jean-Fernand Setti nous vaut un Zuniga bien charpenté, voix puissante et autoritaire, assortie à un jeu où son ébriété (ajoutée) colore le personnage. Ici policier en faction, Morales (Benjamin Mayenobe) fait montre d’une voix puissante, intelligible, et bien timbrée. Le Dancaïre et le Remendado (Kamil Ben Hsain Lachiri et Daegweon Choi) ne sont pas en reste.
Les chœurs, déjà mentionnés, sont remarquables. Dans tous les tempi, la cohésion est constante, avec une intelligibilité et une dynamique rares, sans jamais le moindre décalage, y compris pour le chœur des gamins, rafraichissant. L’artisan de la réussite est, au premier chef, José Miguel Pérez-Sierra. On avait déjà apprécié sa direction dans le grand répertoire italien. Ce soir, où il aborde Carmen pour la première fois, la réussite est magistrale. Dès le prélude, la dynamique joyeuse, légère, comme le pathos sans grandiloquence sont manifestes. Le discours musical, toujours attentif au chant, est construit avec subtilité, toujours les phrasés nous séduisent, assortis de couleurs justes. Il cravache comme il caresse son orchestre et c’est un constant régal. L’Orchestre national de Metz, proprement habité, a-t-il mieux joué ? Il se hisse au meilleur niveau, avec des solistes exemplaires, les bois tout particulièrement. Cette soirée restera en mémoire des auditeurs comme celle où l’orchestre a constitué le cœur de l’ouvrage, au service du chant et de l’action dramatique.