Georges BIZET (1838 – 1875)
CARMEN
Opéra-comique en quatre actes
Livret d’Henri Meilhac et Ludovic Halévy
d’après la nouvelle de Prosper Mérimée
Direction musicale : Alain Altinoglu
Mise en scène : Richard Eyre
Décors : Rob Howell
Adjointe aux costumes : Irene Bohan
Lumières : Peter Mumford
Chorégraphie : Christopher Wheeldon
Carmen : Olga Borodina
Don José : Brandon Jovanovich
Micaela : Maija Kovalevska
Escamillo : Mariusz Kwiecien
Frasquita : Elizabeth Caballero
Mercédès : Sandra Piques Eddy
Remendado : Scott Scully
Dancaïre : Earle Patriarco
Zuniga : Keith Miller
Moralès : Trevor Scheunemann
Danseurs : Ashley Tuttle et Keith Roberts
Chœurs et orchestre du Metropolitan Opera de New-York
New York, 4 février 2010
Carmen Circus
Les productions lyriques de Richard Eyre sont rares et généralement de bonne facture et cette nouvelle Carmen était donc fort attendue. Initialement conçue pour le couple Angela Gheorghiu / Roberto Alagna, qu’on imagine volontiers incandescent, la production a du faire face au retrait de la chanteuse roumaine (cf brève du 05/02), celle-ci étant remplacée par la plus placide Elina Garança (cf Carmen à Londres). Quant à Roberto Alagna, resté fidèle au poste, il est apparu en petite forme si l’on en juge par la retransmission en direct du spectacle. Devant succéder au mezzo letton, Olga Borodina a, quant à elle, du annuler ses premières représentations pour raison de santé.
Ces circonstances expliquent-elles le sentiment d’inachèvement que suscite cette production, ou bien faut-il croire que l’héroïne de Mérimée n’a pas inspiré le metteur en scène anglais ? On cherche en tout cas vainement une ligne directrice. Les costumes de la Guardia Civil évoquent une Espagne récente mais sans que cette piste ne soit explorée plus avant. Le décor est particulièrement « mal foutu » : des morceaux de murs de briques concentriques (certains partant du sol, d’autre descendant des cintres) qui tournent pour délimiter des espaces vaguement différents pour les différentes scènes ; une construction imposante qui empiète sur le proscenium, contraignant les solistes à se marcher les uns sur les autres pour ne pas tomber dans la fosse au premier acte : ainsi Don José chante en direction de la salle, mais Micaela lui barre la bouche car elle n’a pas d’autre endroit où se tenir. « Sur la place, chacun passe », mais on ne voit personne depuis le parterre. La manufacture de tabac est réduite à un trou dans le sol. Au global, une impression de fouillis mal géré. Au niveau théâtral, on appréciera des chanteurs bien dirigés, y compris les artistes du chœur, adultes et enfants ; la production fourmille de détails, parfois d’un intérêt limité (la bague que Carmen jette au dernier acte, est celle de la mère de Don José remise par Micaela au premier acte). Mais rien d’original jusqu’à la dernière scène. Pour celle-ci, Richard Eyre rebondit abusivement sur la réplique de Don José, « Laisse-moi te sauver et me sauver avec toi », pour faire de celui-ci un croyant sincère tentant de sauver la pécheresse ! Situation inédite à l’Opéra : les Thaïs, Manon et autres filles peu fréquentables, sont généralement dans le rôle de la tentatrice. D’ailleurs, ça ne dure pas : après avoir brandi sa croix pendant deux minutes, Don José la jette à terre pour laisser la parole au couteau. Et quand le pauvre garçon clame son amour, on l’entend à peine, emporté vers les coulisses par le plateau tournant qui laisse place à un taureau frappé à mort. On attendait Carmen, ce fut Tournez manèges !
Comme souvent, nous avons droit à quelques chorégraphies flamenco, supposées faire « couleur locale » mais totalement déplacées au regard de la musique si française de Bizet. Finalement, le seul intérêt de cette nouvelle production aura été de nous débarrasser de celle de Franco Zeffirelli, particulièrement peu inspirée.
Vocalement, le plateau est dominé par la Carmen d’Olga Borodina : voix intacte, timbre chaleureux, maîtrise de la coloration et une parfaite prononciation du français. C’est absolument remarquable. Scéniquement, c’est autre chose. Je ne suis pas un maniaque des chanteurs « qui ont le physique du rôle », mais on atteint ici des limites difficilement acceptables. Improbable hybride entre Jackie Sardou et José Garcia en travesti, Borodina multiplie les œillades assassines, coups de fesses et autres déhanchements provocants, boudinée dans une robe faite pour une autre. Acceptables chez une chanteuse capable d’un minimum de retenue, ses effets sont ici d’une indescriptible vulgarité. On frôle même plus d’une fois la parodie et les éclats de rire ne sont pas rares dans le public. Que n’a-t-on adapté la mise en scène et le costume à cette artiste ?! Une Carmen à écouter les yeux fermés, donc.
Brandon Jovanovich est un Don José claironnant, physiquement séduisant (mais absolument pas latin) dont la voix rappelle le jeune Richard Leech mais avec davantage de nuances et de style. Tout n’est pas parfait techniquement, mais son incarnation est convaincante musicalement et dramatiquement, même s’il pâtit visuellement de la confrontation avec une Carmen peu crédible scéniquement. Passons rapidement sur la Micaela de Maija Kovalevska, petite voix au joli timbre, mais totalement insignifiante. A priori, Mariusz Kwiecien n’avait pas la largeur nécessaire pour un Escamillo et son air du « Toréador » accuse quelques faiblesses dans le grave. Mais au global, la prestation est de belle tenue, convaincante, combinant musicalité et panache.
Dans la fosse, Alain Altinoglu peine à maintenir la tension. Il y a certes quelques beaux moments, par exemple l’accompagnement du duo Micaela / José, tout en délicatesse et magnifiquement détaillé, mais les parties plus enfiévrées (l’ouverture, la scène finale et à peu près tout ce qu’il y a entre les deux) tombent à plat, le chef français n’arrivant pas à imprimer une dynamique aux séquences les plus dramatiques.
Placido Carrerotti