Conçu en 2003 pour Karita Mattila qui interprétait Salomé pour la première fois, le spectacle de Lev Dodin valait surtout pour la présence animale et ensorcelante de la soprano. Catherine Naglestadt (finlandaise elle aussi) quelques mois plus tard lui avait succédé, avant, à l’occasion de cette reprise, Camilla Nylund, invitée au préalable à Toulouse par….Nicolas Joël, dans une mise en scène de Pat Halmen. Dans ce décor unique, une cour de palais, quelques marches, de hauts ifs dont les ombres se découpent sur un ciel nocturne aux couleurs menaçantes et ou la lune trace sa courbe jusqu’à être éclipsée au moment de la scène finale, la trémulante Princesse de Judée, virevolte avant de jeter son dévolu sur le prophète Jochanaan emprisonné par son beau-père et de réclamer en signe de vengeance sa tête sur un plateau d’argent. Les très belles lumières wilsoniennes de Jean Kalman ne peuvent faire oublier les piètres costumes de David Borovsky (meilleur décorateur !), ni l’errance de certains personnages, la seule idée de mise en scène de Lev Dodin étant la cage coulissante dans laquelle est enfermé Jochanaan et autour de laquelle Salomé évolue telle une panthère en chaleur.
La soprano finlandaise Camilla Nylund n’a peut être pas le format vocal requis, mais sa performance est plus qu’honorable. Son chant est svelte, sa diction affûtée, sa voix tendue mais d’une élasticité suffisante pour venir aux termes de ce rôle écrasant. Les amateurs de décibels en seront pour leurs frais. L’artiste malgré ses qualités ne peut rivaliser avec l’impérieuse Mattila, débordante de sensualité et de passion réprimée. Les autres apprécieront ce personnage sûr de son pouvoir et dominateur, dont la terrible demande est pour une fois calculée et non le fruit d’un « coup de tête ». Jolie femme de surcroît, la cantatrice exécute avec légèreté et un incontestable brio une athlétique danse des sept voiles.
Excellent Narraboth de Xavier Mas, dont le chant pétri de douceur traduit parfaitement l’amour platonique qu’il porte à la belle Salomé et troublant page de la mezzo-soprano Varduhi Abrahamyan qui dessine en quelques phrases un vrai personnage, alors que celui-ci est relativement anonyme. Plus à l’aise que dans son récent Wozzeck sur cette même scène, Vincent le Texier incarne Jochanaan avec une certaine détermination vocale et une inébranlable foi, malgré une fâcheuse tendance à forcer ses moyens, ses prophétiques accents étant assurément moins monolithiques que ceux clamés par Falk Struckmann (en 2003). Quel plaisir en revanche de pouvoir retrouver l’immense Thomas Moser (également présent l’an dernier à Toulouse), Herodes libidineux et pitoyable jusque dans les pertes de mémoire de ce monarque détraqué superbement utilisées, Julia Juon campant une imposante Herodias, à la voix pleine et entière, supérieure à Anja Silja engagée pour la création de la production.
Magnifiquement accordée à cette vision d’ensemble, la direction soyeuse d’Alain Altinoglu se distingue des déchaînements orchestraux auxquels on nous a si souvent habitués. Finesse de texture, lascivité du tempo, subtiles touches orientalisantes, soutien sans faille des solistes, tout concourt à la réussite de cette scrupuleuse narration.