Dernier concert du Festival Mozart proposé par le Théâtre des Champs-Élysées pour conclure sa saison, La Finta giardiniera constituait un choix à la fois original et judicieux. Quel bonheur, en effet, d’entendre cette partition si rarement jouée et enregistrée, composée par un Mozart d’à peine dix-neuf ans mais déjà en pleine possession de son génie. L’opéra fut accueilli à sa création par un énorme succès comme en témoigne la correspondance du compositeur. Sans doute les faiblesses d’un livret convenu et peu vraisemblable pourraient expliquer qu’il ait été éclipsé par les ouvrages plus tardifs, en particulier ceux de la trilogie da Ponte, car la musique recèle de nombreuses pages d’une haute inspiration -notamment le grand final du deuxième acte -qui préfigurent en bien des points Les Noces de Figaro.
La distribution réunie pour l’occasion est constituée d’une équipe solide et homogène qui défend cette musique avec un enthousiasme communicatif.
Andrew Kennedy campe un Podestat débonnaire et bienveillant à l’opposé de l’image de barbon ridicule attachée généralement à ce personnage. Doté d’une voix robuste, Andrew Foster-Williams est un Nardo facétieux à souhait, une sorte de cousin de Figaro qui fait preuve d’un abattage irrésistible dans son air « Con un vezzo all’italiana », dans lequel il s’exprime en plusieurs langues. James Gilchrist propose un Belfiore d’une grande noblesse : la voix est ample, bien projetée, et le timbre ne manque pas de séduction. Le ténor, qui possède en outre une technique souveraine, n’est pas avare de nuances qui font mouche dans son air « Care pupille » au deuxième acte, dont il livre une interprétation en tout point captivante.
Le plateau féminin n’est pas en reste même si Daniela Lehmer a paru quelque peu en retrait au premier acte où son air d’entrée « Se l’augellin sen fugge », chanté avec une voix terne et monochrome, a déçu ; mais la jeune mezzo-soprano prend de l’assurance au cours de la soirée et livre au III, un «Va pure ad’altri in braccio» véhément, orné de vocalises brillantes, chaleureusement applaudi. Elisabeth Watts est une Serpetta mutine, au timbre acidulé tout à fait dans la tradition des soubrettes d’opéra. Elle forme avec Andrew Foster-Williams un couple de valets parfaitement assorti. Klara Ek constitue l’une des révélations de la soirée. Dès son premier air, « Si promette facilmente », la voix ronde et opulente de la cantatrice suédoise séduit d’emblée. Au II, l’aplomb avec lequel elle aborde « Vorrei punirti indegno » laisse entrevoir une future Donna Anna. Bien connue du public du Théâtre des Champs-Élysées, où elle fut notamment une délicieuse Petite Renarde rusée en 2002, Rosemary Joshua s’empare avec bonheur le rôle titre auquel son timbre clair et lumineux confère jeunesse et sensibilité. L’art consommé de la musicienne lui permet de surmonter sans peine les difficultés qui émaillent sa partie. Tout au plus, aurions-nous souhaité qu’elle varie davantage les couleurs dans son grand air du III « Crudeli, oh Dio ! » aux affects si contrastés.
Fondée en 1973 par Christopher Hogwood, L’Academy of Ancient Music est désormais une formation baroque dans la plénitude de sa maturité: le soyeux des cordes, la justesse des vents, l’impeccable cohésion des pupitres en font un instrument somptueux dont Richard Eggard, qui a succédé à Hogwood en 2006, parvient à tirer le meilleur. Sa battue, extrêmement précise et nuancée, nous vaut un final du deuxième acte éblouissant, ovationné par la salle.
Christian Peter