Pourquoi associer dans un même programme Daphnis et Chloé de Ravel avec le Gloria de Poulenc ? Deux compositeurs français et puis ? Musique profane d’une part, sacrée d’autre part, qu’une cinquantaine d’années sépare, autant dire une éternité à l’aune d’un siècle – le 20e – qui épuisa tous les systèmes musicaux avant de renouer avec un classicisme de bon aloi – ce qui fut sévèrement reproché à Poulenc. Du côté de chez Ravel, une « symphonie chorégraphique » envisagée d’un seul bloc, orgiaque et dilatée. Du côté de chez Poulenc, un « macaroni filant », fragmenté, concentré, capricieux, tantôt irrévérencieux, tantôt lumineux comme touché par la grâce. L’un ballet orchestral, l’autre prière chorale.
Il ne faut pas compter sur ce concert parisien pour les réconcilier. Au pupitre : Bernard Haitink, 87 ans, auréolé d’un prestige qu’une telle longévité suffirait à légitimer si son palmarès ne tutoyait déjà la légende : premier chef du London Philharmonic Orchestra (1967-1979), directeur musical de Glyndebourne (1978-1988) puis de Covent Garden (1987-2002), premier chef de la Staatskapelle de Dresde (2002-2004) puis du Chicago Symphony Orchestra (2006), membre honoraire de l’Orchestre Philharmonique de Berlin et de l’Orchestre de chambre d’Europe, etc.
Autant Ravel aide à comprendre dans quel bois a été taillé cette baguette prestigieuse, capable de déchaîner des tempêtes magnifiques comme d’imposer subitement un murmure proche du silence. Précise, sa direction est riche non seulement de contrastes mais aussi de couleurs profuses, servie en cela par un Chœur de Radio France et un Orchestre national de France dont la somme des solistes ne fait qu’un. Première flûte (Philippe Pierlot), première clarinette (Patrick Messina), premières trompettes (Marc Bauer et Andreï Kavalinski), tous distincts et remarquables lorsque la partition les détache de l’ensemble, tous confondus lorsque l’écriture les réunit en un maelstrom sonore éblouissant.
Autant Ravel s’avère donc une expérience inoubliable, autant Poulenc en première partie déçoit : épais, corseté, privé de malice par une lecture trop solennelle. Les chœurs qui chanteront après l’entracte d’une seule voix donnent alors l’impression d’être bousculés et, pour les seuls pupitres masculins, débraillés. Irrévérence ne signifie pas relâchement. Bien que desservie par l’acoustique de l’Auditorium, la voix de Patricia Petibon s’élance droite et pure, volontairement dépouillée de toute enveloppe charnelle, tranchante dans les attaques (« Domine Deus ») », souple lorsqu’il lui faut épouser les mélismes de l’écriture. Las, les rayons célestes qu’elle projette ne suffisent pas à dérider la partition. Contrairement à ce que souhaitait Poulenc en songeant aux fresques de Gozzoli à Florence, les anges ce soir n’ont pas tiré la langue.