Berlioz est né à la Côte-Saint-André, ce qui légitime l’existence d’un festival in loco, lui rendant hommage. Ce que l’on sait moins, c’est qu’il se promenait des heures durant dans les bois où se tenaient jadis les sabbats, ou qu’il affectionnait tout particulièrement les musiques populaires d’Italie, souvenirs de son séjour à la Villa Médicis. C’est en s’approchant au plus près de la vie intime du compositeur que Bruno Messina, directeur du Festival de la Côte Saint-André, proposait cet été 2016 une édition intitulée « Les fleurs du mal ou Berlioz au bal des sorcières », invitation à (re)découvrir la célèbre Symphonie fantastique, les Nuits d’été ou encore Les Fleurs des landes du compositeur à l’honneur, de fréquenter certains homologues tels que Beethoven et Chopin, ou d’apprécier des œuvres traversées par de semblables préoccupations, allant de l’Apprenti sorcier de Dukas à l’Amour sorcier de Manuel de Falla en passant par la Danse macabre de Saint-Saëns. Pour couronner l’ensemble il fallait un opéra, et c’est Benvenuto Cellini qui faisait sa première apparition au Festival, dans une version concert.
C’est en 1834, alors qu’il débute comme critique à Paris et défend son système musical, que Berlioz lit la Vita de Cellini, autobiographie de l’artiste florentin publiée à titre posthume en 1728. Il trouve alors un sujet idéal pour partager sa propre réflexion sur le statut de l’artiste, ses contraintes, ses détracteurs, sa solitude face à la création.
Ainsi, Benvenuto Cellini met en scène certains des épisodes marquants de la vie du célèbre musicien, sculpteur, et habile orfèvre, que l’on presse d’achever son ouvrage : la célèbre statue de Persée tenant la tête de Méduse. Cette première ligne narrative se mêle d’une intrigue amoureuse et Cellini, aidé de son apprenti Ascanio, projette d’enlever Teresa, que son père Balducci tient recluse. Au deuxième tableau, Cellini et ses compagnons commandent à boire, mais après une amusante énumération des vins bus mais non payés, le cabaretier refuse d’ouvrir la moindre bouteille ! Ascanio démêle la situation en remettant à Cellini la bourse de pièces d’or que lui octroie le Pape contre la prochaine livraison de sa statue. Mais plutôt que de se mettre au labeur, l’insoucieux Cellini paye le cabaretier et prépare les costumes qui permettront d’enlever Teresa lors de la parade. Devant le théâtre de Cassandro, une pantomime burlesque se rit de Balducci qui, furieux, laisse Teresa sans surveillance. Tous déguisés, Cellini et Ascanio d’un coté, Fieramosca et Pompeo de l’autre, s’affrontent pour la belle. Quand les jeunes amants se retrouvent seuls, ils sont vite interrompus par le Pape qui fait demander la statue de Persée et menace de confier l’ouvrage à un autre fondeur. Mais Cellini préférerait détruire le modèle que d’en laisser l’exécution à un rival. S’il achève son travail à temps, on lui promet d’épouser Teresa. Les ouvriers de Cellini redoublent alors d’effort, le métal coule de nouveau et bientôt la statue de Persée prend forme. Le Pape offre à Cellini d’épouser Teresa tandis que tous célèbrent les maîtres ciseleurs.
© Simon Barral-Baron
Point de statue en scène pour cette version de concert, mais il y avait bien de l’or entre les mains du maestro François-Xavier Roth, dirigeant orchestre et chœur de Cologne. Dès l’ouverture, l’orchestre éclate dans toute sa verve. Gagnant très vite en épaisseur comme en brillance, il nous peint la Florence fourmillante de Cellini, dont le clinquant séduit à coup sûr, mais fera regretter plus tard quelques défauts d’équilibre entre solistes et orchestre. Dépassant le regret, qui plus est stérile, d’une fosse, on apprécie cette grande qualité d’exécution capable de réveiller chaque couleur, révéler chaque ligne, user de chaque énergie interne pour conduire une dramaturgie définitivement orchestrale. Car c’est là que pêche la partition initiale, créée en 1838 à Paris et retirée après quatre représentations tant le public n’en pouvait saisir l’efficacité dramatique. Cet écueil est habilement évité à la Côte-Saint-André, par un format concert qui recentre l’attention sur l’interprétation musicale. Ainsi, le tableau du carnaval romain, certainement le plus célèbre, est une nouvelle occasion pour l’orchestre et le chœur de Cologne de briller en déployant une énergie phénoménale réclamant l’implication la plus totale de chacun des 190 choristes et musiciens, parmi lesquels un cymbalier dont on rêverait de prendre la place le temps de ce carnaval !
La distribution vocale n’est pas en reste, avec Vincent le Texier en Balducci, qui ouvre la soirée d’une voix autoritaire mettant en garde Teresa. Le baryton-basse fait alors preuve de solides graves et d’une puissance d’émission redoutable sur toute la tessiture, confirmée par la suite dans chaque ensemble. Emily Hindrichs convainc tout autant et révèle, dans ce premier air pourtant malaisé par sa longueur, un timbre raffiné, une voix souple et ronde, qui font de Teresa une jeune femme plus sensible qu’ingénue. La diction élégante et la belle musicalité de la soprano la consacrent vedette de la soirée, face à un Cellini quelque peu en retrait. Dans le rôle titre, Ferdinand von Bothmer peine en effet à dialoguer avec sa maîtresse autant qu’avec l’orchestre. Si le ténor manque de souplesse dans les phrasés rythmiques et de longueur de voix dans les élans lyriques, il compense ces défauts par une noble couleur, incontestablement propice au rôle. D’autant que son rival, le Fieramosca de Miljenko Turk, grotesque prétendant à la main de Teresa, surprend les jeunes amoureux autant que le public par son entrée en scène incisive, son engagement et son timbre pleins. Le célèbre air d’Ascanio, « Mais qu’ai-je donc ? Tout me pèse et m’ennuie ! », emmené avec enthousiasme par Katrin Wundsam, et les interventions augustes de la puissante basse Nikolay Didenko en Pape Clément VII complètent cette interprétation vocale pour le moins chatoyante. Mais notre faveur restera à l’orchestre et son chef, qui restituent ensemble toute l’incandescence d’une partition foisonnante des idées thématiques et couleurs harmoniques du jeune et impétueux Berlioz.
Prolongeant la soirée sur les terrasses du château et jusque dans la « taverne d’Hector » où résonnent les musiques populaires d’Italie, on s’immerge plus encore, réalisant que par l’argument de l’œuvre, par les lieux de son exécution et par l’esprit tout entier d’un Festival voué à ressentir et à réinventer, on a véritablement pu s’approcher tout près de Berlioz…