Le programme concocté en cette soirée d’Halloween n’avait guère de rapport avec les festivités du jour. L’association d’une œuvre de Bruckner avec une version de concert du premier acte de la Walkyrie ne laisse pas de surprendre, quoique on note d’intéressants parallèles entre cette 5e Symphonie et certains leitmotive wagnériens. Mais intéressons-nous à la première partie du concert où les amours des jumeaux incestueux naissent et se développent devant nos yeux. Pas de mise en scène, donc, ce qui nous dispense d’éventuelles peaux de bêtes ou autres fantaisies vestimentaires pour nos tourtereaux qui apparaissent, très élégants, en smoking et robe longue. Quoiqu’on en dise, cela ne gâte en rien le plaisir de les contempler à leur avantage, bien-être encore renforcé par l’absence de partitions, pourtant fort courantes en versions de concert. Pour l’heure, les interprètes s’investissent pleinement dans leur chant, dégageant une force de conviction croissante au fil de l’action.
On retrouve avec plaisir Klaus Florian Vogt sur la scène du Festspielhaus, près d’un an après un récital enchanteur donné ici même. Habitué du rôle de Siegmund, le ténor est en grande forme ce soir. Le timbre est juvénile et pur, loin d’être blanc comme on le lui reproche souvent. Bien au contraire, c’est tout un nuancier de couleurs chaudes qui nous évoquent les feuillages flamboyants des forêts badoises, particulièrement chatoyantes cette année. Sa présence devient rapidement magnétique, son interprétation tout en vaillance procurant une empathie quasi fusionnelle qui culmine dans le « Wälse » extatique, le suave « Winterstürme » et les étreintes finales. Les talents d’actrice d’Annette Dasch contribuent amplement à rendre vibrant l’amour puissant qui s’empare des enfants de Wotan. On la perçoit naturelle, innocente et belle ; la ravissante berlinoise sait rendre poignant le récit de son mariage malheureux et crédible son attachement viscéral à Siegmund. Peut-être ne colle-t-elle pas exactement à ce qu’on est habitué à entendre du rôle de Sieglinde, mais on saurait lui reprocher de ne pas l’incarner avec force et conviction. La qualité de la diction tout comme le phrasé sont impeccables chez les deux interprètes, ce qui n’est pas toujours le cas de Liang Li, pourtant impressionnant de force sonore, au timbre de bronze doté de graves caverneux bienvenus. En quelques secondes, il parvient toutefois à restituer la force brutale et épaisse de Hunding.
Portés par tant d’énergie et d’émotion, l’acte ne dure que le temps d’un éclair et c’est avec un pincement au cœur qu’on voit repartir les solistes et notre carrosse se transformer en citrouille. Pas de chevauchée des Walkyrie ce soir, mais une symphonie à la place après la pause. Jonathan Nott sert idéalement Wagner tout comme Bruckner, à la tête de son Bamberger Symphoniker à l’effectif renforcé par celui de la Bayerische Staatsphilharmonie. C’est à une déferlante sonore maîtrisée et experte que l’on a droit pour une soirée bien riche.