Intégralement noire, la vaste scène du Festspielhaus de Baden-Baden est magnifiée, occupant une ample partie gauche, par un immense sapin de Noël couvert de guirlandes scintillantes. La perfection de la découpe du conifère et la régularité de la disposition de ses décorations sont à l’image du superbe Weihnachtsoratorium de Bach qui nous est offert ce soir. Sobre et éclatant, professionnel et précis mais, heureusement, intensément émouvant, c’est à un oratorio de Noël rêvé que nous sommes conviés, dans une ambiance toutefois plus recueillie que festive.
Il faut tout d’abord saluer l’admirable prestation de l’alto Wiebke Lehmkulh qui remplace au pied levé Anke Wondung souffrante. En totale adéquation avec l’œuvre, la jeune femme irradie une suave chaleur et fait littéralement chair avec l’enfant qu’elle enveloppe d’une ineffable douceur. On se souviendra longtemps de son « Schlafe, mein Liebster, genieße der Ruh » (Dors, mon bien-aimé, jouis de ton repos) aux merveilleux pianissimi, tendre et grave berceuse. À ses côtés, Maximilian Schmitt campe un évangéliste tout de retenue et de délicatesse. La voix, douce et caressante, est hélas bien contenue au cours de la première partie et parfois insuffisamment caractérisée. Le ténor semble à la peine pour certaines vocalises et accuse le coup au terme des trois premières cantates. Mais la pause est salutaire, car au retour, on reprend directement à la sixième cantate et pour l’adoration des Rois mages, les récitatifs se déploient dans une tranquille fluidité, comme une caravane en marche dans une souple ondulation, le rythme enfin trouvé. On suit l’étoile avec ferveur. Roderick Williams, quant à lui, fascine de bout en bout par son visage qui ne se départ jamais de son sourire. Le baryton anglais est totalement habité ; mais c’est là où le bât blesse : on attendait une basse, on entend un superbe baryton. S’il n’a rien d’un Hérode fourbe aux résonnances caverneuses et sinistres, il possède cependant, au propre comme au figuré, la délicatesse et la noblesse des plus beaux Balthazar de la peinture occidentale. Et au final, c’est le rayonnement qui l’emporte. La quatrième chaise reste vide jusqu’à l’apparition d’un ange, qui se poste judicieusement devant l’immense et impressionnant sapin. Anna Lucia Richter frappe par son timbre velouté et une puissance surprenante dans un corps aussi délicat. Pas de doute quant au sexe de ce chérubin : la jeune femme, vêtue d’une robe rouge exquise qui sublime sa féminité, est la grâce incarnée. Elle se déplace avec une élégante distinction qu’on retrouve dans son chant, par ailleurs juvénile et radieux. Il faut dire que sa partenaire est tout aussi bien parée, tout comme l’ensemble des chœurs, sur leur 31.
Le RIAS Kammerchor est impressionnant de cohésion et d’homogénéité. C’est peu dire qu’il glorifie la soirée. Fondé en 1948 pour la radio, le Rundfunk im Amerikanischen Sektor de Berlin se produit maintenant sur scène et l’on comprend le pourquoi de sa renommée internationale : un tel équilibre des pupitres et une précision ciselée dans la prononciation font merveille. Leur dirigeant, Hans-Christoph Rademann, sait idéalement tirer le meilleur de sa formation tout comme il exalte le remarquable Freiburger Barockochester. Du continuo souplement fédérateur aux trompettes éclatantes en passant par les hautboïstes aux nuances des plus subtiles, tous sont à l’unisson. Cela s’appelle la magie de Noël…