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Alors que nous avons droit à Paris à un nouveau Faust scénique (voir le compte-rendu de Placido Carrerotti), Barcelone pour des raisons économiques a préféré en rester à une version de concert donnée neuf fois dans deux distributions différentes (c’est ce soir celle de la première qui nous est proposée). Les affiches annoncent « fragments » (durée du concert : 2 h 15, pour une œuvre qui, dans sa version intégrale, dure en gros une heure de plus) ; tout ce qui est ballet est supprimé – dont les variations de Cléopâtre – ainsi que des parties de scènes (par exemple la fin de la scène du jardin). Le seul avantage de cette opération chirurgicale est de resserrer l’œuvre autour des protagonistes. Traditionnelle présentation de concert, orchestre par-dessus la fosse et sur scène, chœurs au fond sur gradins, solistes au premier plan, entrant et sortant au fur et à mesure de leurs interventions. Point de jeu scénique, mais des intentions en gestes et regards ; le plus engagé, Méphisto, est habillé d’une longue veste de cuir noir, col de chemise ouvert, genre rocker gothique ; Marguerite scintille sous les strass comme un sapin de Noël ; dame Marthe est une longue figure sèche en robe fourreau collante, cheveux auburn plaqués, chaussures et bas aussi rouges que la rose que lui offre le diable ; robe longue à falbalas pour Siebel, les autres en tenue de soirée. Dès les premières notes, on est subjugué par la direction de Pierre Vallet : rapide, nerveuse et précise, elle balaie les conventions sans pour autant déstructurer la partition ; bien au contraire, une grande unité se dégage de cette belle interprétation, attentive aux chanteurs et mettant en valeur certains pupitres que l’on a perdu l’habitude d’entendre : grâce à lui, l’orchestre du Licéo est ce soir très brillant. Les chœurs sont bien en place. Toutefois, bien que l’on vante l’acoustique exceptionnelle du théâtre, au 11e rang d’orchestre côté jardin, on n’a perçu qu’une espèce de bouillie incompréhensible d’où les basses étaient absentes, alors que depuis le poulailler, il parait que l’ensemble était d’une exceptionnelle clarté. Les solistes, en revanche, passent parfaitement la rampe.
Le grand triomphateur de la soirée est le polonais Piotr Beczala*, le plus beau Faust qu’il nous ait été donné d’entendre depuis Nicolaï Gedda, qu’il a dû beaucoup écouter. La technique est impeccable, la projection égale dans tous les registres, l’articulation du français est exemplaire et la puissance de sa voix lumineuse n’empêche pas les nuances. Il est surtout confondant de naturel et d’aisance. Qui plus est, son timbre se marie parfaitement avec celui des ses partenaires. Une prestation exceptionnelle. Avis aux amateurs : pPour les parisiens, Il sera le Duc dans Rigoletto à l’Opéra Bastille en janvier-février 2012. Krassimira Stoyanova est une bonne cantatrice, très professionnelle. Mais le personnage qu’elle est censée interpréter nous semble beaucoup plus complexe que celui qu’elle tente de construire. Pour Marguerite, jeune femme peu solide psychiquement et proie idéale pour sex-adict, on souhaiterait un soprano jeune qui exprime ses contradictions, à la fois aguicheuse et pleine de retenue, « pêcheuse » par rêve plus que par réelle volonté. Et malade mentale en devenir ! Krassimira Stoyanova ne se pose pas tant de questions. La voix est ample et belle, encore qu’un peu métallique, sans vibrato, mais avec souvent un léger trémolo. La prononciation française est parfois aléatoire. Quant au jeu, on l’ a compris, il ne fait ni dans la psychologie, ni dans la finesse. Erwin Schrott, ici même l’an dernier excellent Escamillo (voir notre compte rendu de Carmen), s’en donne à chœur joie, et campe un Méphistophélès des plus convaincants sans être outré comme souvent pour ce rôle. Il a la voix idéale, et joue de plus de ses capacités à alléger, et à pratiquer d’infinies nuances. En revanche, sa pratique de la langue française reste encore à améliorer pour que l’on puisse jouir de toutes les finesses du texte. Fort curieusement, ni Ludovic Tézier ni Karine Deshayes ne donnent l’impression d’être très concernés par cette production en concert (qu’ils assurent quand même six fois :. un Valentin raide et d’un bloc, encore moins sympathique qu’à l’habitude, avec des accentuations lassantes du fait de leur répétitivité, et de plus entaché d’un curieux défaut technique lui faisant accrocher fins de mots et de phrases au lieu de les laisser libres ; et un Siebel totalement tragique souvent en contradiction avec la partition et le texte, auquel est ainsi retiré le côté primesautier et inconscient. Enfin, la dame Marthe de Julia Juon fait une apparition du genre de celles que l’on n’oublie pas. À l’opposé des rondes matrones genre Kermesse héroïque (ah, Jocelyne Taillon…), elle campe un personnage maigre et anguleux, d’aspect austère et puritain, qui pour tenter d’arriver à ses fins use de mines et d’attitudes irrésistibles : une belle caricature jubilatoire, de plus fort bien chantée.
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