D’Aureliano in Palmira au Barbier de Séville, l’un et l’autre à l’affiche de la 35e édition du Festival de Pesaro, il y a un pas que la différence de genre entre les deux ouvrages, seria et buffa, ne laisse pas forcément supposer. Le second emprunta au premier l’ouverture et la cabalette de la grande scène d’Arsace, devenue par un habile tour de main la cavatine de Rosine « Una voce poco fa ». L’oubli dans lequel sombra ensuite Aureliano in Palmira n’est pas le seul fait de ce recyclage insolite. L’indigence d’un livret, dont l’argument tient en une phrase mais s’étire sur deux actes, la complexité de l’écriture et des formes sont autant de sacs de plomb qui lestèrent un opéra dont la création moderne eut lieu à Savona en 1981 mais qui n’avait encore jamais été représenté à Pesaro. À tout juste 22 ans, Rossini n’avait pas exactement les moyens de ses ambitions, ce qui n’enlève rien à la valeur de certaines pages, notamment le duo du premier acte « Se tu m’ami » dont Stendhal disait qu’il était le plus beau que le compositeur ait jamais écrit.
Bref, on l’a compris, l’exhumation d’une telle œuvre, avec des forces qui n’en rendent que plus patentes les faiblesses, n’est pas chose facile. Pour aider à relever le défi, Ciro in Babilonia, autre opéra méconnu triomphalement ressuscité à Pesaro il y a deux ans, se posait en exemple. Malheureusement, il ne suffit pas de reprendre les mêmes ingrédients et d’appliquer la même recette pour obtenir le même résultat. D’autant que le sort a eu tôt fait de s’en mêler. Ewa Podles renonçant au rôle d’Arsace, il fallut trouver une chanteuse capable de porter à bout de voix une partition destinée à l’origine au dernier des grands castrats, Giambattista Velluti. Âgée de 26 ans, la jeune mezzo-soprano ouzbekistanaise Lena Belkina ne possède ni la technique, ni le tempérament pour dessiner ce guerrier courageux dont elle ne présente que le visage amoureux.
Une autre méprise a été de confier la mise en scène à Mario Martone qui prend le parti d’illustrer l’histoire littéralement. Compte tenu de la maigreur de l’argument, était-ce la meilleure solution ? Les costumes flamboyants d’Ursula Patzak ne suffisent pas à masquer la vacuité du propos scénique, un troupeau de chèvres au deuxième acte constituant l’unique diversion d’un spectacle qui s’étale sur plus de trois heures.
Lena Belkina (Arsace) © Amati Bacciardi
Pour ne rien retirer à l’impression de longueur, l’édition critique réalisée par le directeur musical Will Crutchfield n’omet aucune note*. À la tête d’un Orchestra Sinfonica G. Rossini dont le cor en déroute n’est que la partie émergée d’un iceberg d’approximations, le chef s’emploie à souligner la majesté du drame au détriment de sa vitalité. Est-ce pour se démarquer du Barbier de Seville que la fameuse ouverture est menée à train de sénateur ? Le choix se défend mais ainsi figé dans le marbre, Aureliano in Palmira apparait trop souvent pétrifié. Désuni, le chœur ne se réconcilie qu’à de rares moments. L’on a du mal à croire que Dimitri Pkhaladze – il Gran Sacerdote – ait pu chanter Lord Sydney dans Il Viaggio a Reims tant sont raides les vocalises de sa courte aria au début du premier acte. Raffaella Lupinacci dans le rôle de Publia jouerait les (jolies) potiches si « Non mi lagno, che il mio bene » à la toute fin de l’opéra ne révélait une voix de velours et un chant intelligemment mené. L’œuvre le veut ainsi mais dix minutes avant le finale, il est hélas un peu tard.
Reste, pour tirer le spectateur de sa torpeur, l’aplomb avec lequel Jessica Pratt et Michael Spyres partent à l’assaut de leur Himalaya vocal. Passé un nécessaire temps d’échauffement, la soprano trace à grands traits cinglants le portrait d’une reine insoumise. La colorature, acérée et vertigineuse, accrédite la souveraine. Mais le chant, arrondissant ses angles, sait aussi déposer les armes le temps de ces duos amoureux que Stendhal aimait.
Le ténor, moins assuré, utilise chaque fois que possible les ressources d’un grave inoxydable pour asseoir l’autorité d’Aureliano. La fragilité de l’aigu, sollicité au-delà des limites de la voix humaine, rejoint celle de cet empereur désarmé par ses sentiments. L’agilité et la richesse de l’ornementation attestent la maîtrise du style. La présence, altière, parachève la composition, confirmant la place qu’occupe aujourd’hui Michael Spyres dans ce répertoire sans pour autant convaincre de la pérennité scénique de l’ouvrage.
* A lire aussi Aureliano in Palmira : de la genèse au pupitre, un entretien avec Will Crutchfield réalisé par Brigitte Cormier