Comme l’explique Hervé Niquet aux spectateurs avant le lever du rideau, King Arthur était à l’origine un spectacle où se mêlaient comédie, chant et danse pour le plus grand plaisir de l’auditoire. La musique de Purcell, qui constitue à peine un tiers de l’œuvre, est une succession de tableaux sans grand rapport entre eux, disséminés tout au long de la pièce de John Dryden. Pour assurer à l’ensemble une certaine cohésion tout en conservant à l’ouvrage son caractère divertissant, Hervé Niquet a fait appel aux fantaisistes Shirley et Dino qui ont réussi le mariage improbable de l’humour gaulois avec la musique anglaise en imaginant les aventures cocasses d’un roi Arthur de bande dessinée dont l’emblème ressemble à Casper, le gentil fantôme, brandissant un sceptre et un épée.
Ainsi, au premier acte, les costumes des soldats évoquent les romains d’Astérix et au deux, les bergers en tenue seventies sont des hippies qui chantent autour d’un feu de camp ; peu à peu les couples se forment et s’enlacent mais au moment crucial, survient une panne d’électricité salvatrice. Le tableau du froid, l’un des plus réussis, se déroule dans un décor tout blanc. Sur la scène se dresse un énorme réfrigérateur d’où sortiront tour à tour, un ours polaire, un Père Noël et deux pingouins. Deux infirmières au timbre ravissant (Chantal Santon-Jeffery et Ana Maria Labin) , figurent Cupidon, tandis que des skieurs égarés en habits tyroliens viennent demander leur chemin à nos héros. Durant ce tableau, le chef et les musiciens dans la fosse arborent force bonnets et cache-nez.
On l’aura compris, Shirley et Dino ont concocté un spectacle loufoque, ponctué, entre chaque tableau, par des échanges burlesques entre le chef d’orchestre et un machiniste jovial, mais un peu ahuri, campé par Gilles Benizio lui-même, échanges qui nous ont valu, entre autres gags, l’apparition sur scène d’Hervé Niquet en kilt, jouant les Marilyn, poursuivi par l’aspirateur de Dino qui propulsait de l’air sous ses jambes ou chantant l’inénarrable « On a l’ béguin pour Célestin » extrait de L’Auberge du Cheval blanc, accompagné par les musiciens hilares du Concert spirituel.
Il serait impossible de décrire en détail cette représentation totalement déjantée durant laquelle une idée nouvelle surgit à chaque minute. Et la musique, dans tout cela ? Eh bien elle est remarquablement servie par Hervé Niquet et son Concert Spirituel qui ont cette œuvre à leur répertoire depuis une vingtaine d’années et l’ont gravée sous le label Glossa en 2004. Bien plus à son affaire ici que dans son Don Giovanni de l’été dernier, Niquet tire de son ensemble de chatoyantes couleurs propres à rendre justice à cette partition en forme de patchwork.
Alors on pourrait bien sûr reprocher au chef un soupçon de raideur dans les intermèdes orchestraux ou ergoter sur quelques écarts de justesse des bois en début de soirée et sur les vocalises pas toujours très précises de Mathias Vidal. N’importe, l’ensemble des chanteurs, solistes et chœurs compris, d’où se détache l’excellente basse João Fernandes, désopilant Arthur de pacotille, font preuve d’une parfaite homogénéité, tant vocale que théâtrale, qui contribue à la réussite de cette revigorante production.
Shirley et Dino effectuent ainsi une entrée fracassante dans le monde du lyrique et l’on peut imaginer ce qu’ils pourraient faire dans certaines œuvres d’Offenbach comme Orphée aux enfers, par exemple.
Coproduit par l’Opéra National de Montpellier, ce spectacle que l’on espère voir un jour à Paris, sera repris dès la saison prochaine à l’Opéra-Comédie.