Forum Opéra

Ariadne auf Naxos — Zwolle

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Spectacle
20 septembre 2016
Une centenaire actuelle et nécessaire

Note ForumOpera.com

3

Infos sur l’œuvre

Opéra en un acte avec Prologue (version de 1916)

Livret de Hugo Von Hofmannsthal

Détails

Nouvelle production

Mise en scène

Laurence Dale

Décors et costumes

Gary McCann

Lumières

Thomas Hase

Video

Silbersalz Film

Chorégraphie

Sjoerd Vreugdenhil

Die Hausohmeister

Stefan Kurt Reiter

Ein Musiklehrer

Stefan Heldemann

Der Komponist

Karin Strobos

Der Tenor / Bacchus

Martin Homrich

Einh Offizier

Jacques de Faber

Ein Tanzmeister

Christian baumgartel

Ein Perückenmacher / Lakei

Arman Isleker

Zerbinetta

Jennifer France

Primadonna / Ariadne

Soojin Moon-Sebastian

Harlekin

Rafael Fingerlos

Scaramuccio

Michael Smallwood

Truffaldin

Joao Fernandes

Brighella

Pascal Charbonneau

Najade

Caroline Cartens

Dryade

Leonie Van Rheden

Echo

Hildur Hafstad

Invités

Camiel Corneille, Thijs Huizer, Joana Dinah Schwing, Erik Spruit

Herr Reichmann

Hanz Timans

Orchestre Néerlandais du Nord

Direction musicale

Antonino Fogliani

Zwolle, Theater De Spiegel, mardi 20 septembre 2016 à 19h30

En 1955 naissait à Enschede une société de production ayant pour projet de diffuser des spectacles lyriques sur toute l’étendue du territoire des Pays Bas. Baptisée alors « Forum Opéra » (!), elle s’appelle aujourd’hui « Opéra Itinérant » et propose en ce moment, pour le centenaire de la création de la version devenue définitive, Ariadne auf Naxos. Commencée à Enschede la tournée de dix étapes s’achèvera à Amsterdam. Elle passait par la salle polyvalente de 900 places dont Zwolle, ville d’un peu moins de 125 000 habitants, s’est dotée voici quelques années. Précédée d’espaces propices à la convivialité elle sidère par l’impression immédiate de chaleur et d’élégance qui se dégage, sous des lumières étudiées, des formes, des couleurs et des matières. La fosse large et profonde et le bois qui revêt les murs du théâtre assurent une très bonne diffusion du son. On nous pardonnera, on l’espère, ces considérations qui retardent le compte rendu du spectacle, mais il y a eu manifestement tant d’intelligence dans la conception de cet outil qu’on ne peut s’empêcher de faire des comparaisons moroses. D’autant, et nous en finirons, que la disposition des sièges, en quinconce, sur des gradins descendants, et l’espacement des rangées optimisent le confort du spectateur.

Qu’en est-il des dégagements scéniques ? Nous l’ignorons, mais ils doivent être à l’avenant de la conception de la salle, car le plateau donne une impression d’ampleur encore augmentée par les décors conçus par GaryMcCann. Le Prologue se déroule dans un espace surélevé où le nouveau riche expose des fragments de statue monumentaux, têtes dont les yeux absents révèlent le vide, autant de trophées dont la collection reflète l’inculture foncière de son propriétaire. L’or dont leurs couronnes de lauriers sont rehaussées dégouline comme des larmes sur les visages, les épaules, les piédestaux, images de l’ostentation de la richesse et parodies de la « valeur » de l’œuvre d’art. A jardin et à cour l’espace central est ouvert sur d’autres espaces qui laissent entrevoir d’autres œuvres similaires et des silhouettes suffisantes à suggérer les invités. Au pied de l’espace central une rampe d’accès divisée en plusieurs paliers successifs permet d’y accéder. Ainsi sont représentés un haut et un bas, et les personnages du Prologue y occupent une place conforme à la hiérarchie initiale, Maître de musique, Compositeur et Prima Donna regardant de haut Zerbinetta et sa suite, probablement arrivés par l’entrée de service.

On comprend d’emblée la lisibilité de la mise en scène, qui n’a d’autre souci que de faire vivre l’œuvre sans la malmener mais sans renoncer pour autant à toute personnalité. Ainsi le Bourgeois gentilhomme invisible d’ordinaire apparaît ici sous l’apparence d’un homme massif et balourd – campé par Hanz Timans – avec lequel le majordome – rôle tenu par Stefan Kurt Reiter – qui n’a ni l’arrogance ni l’aspect gourmé habituels entretient un rapport singulier proche du Servant de Joseph Losey. Le spectacle fourmille ainsi de suggestions, jamais incongrues et toujours respectueuses au plus haut point de la musique, qui tissent des liens entre l’œuvre et d’autres créations ou formes artistiques. Laurence Dale, qui avait déjà mis en scène Ariadne auf Naxos à Monte-Carlo, témoigne ainsi de sa compréhension profonde du projet d’Hofmannsthal et de Strauss, de leur volonté, malgré leurs divergences, de créer une œuvre « métisse ». A cet égard les costumes, eux aussi de Gary McCann et les lumières, signées Thomas Hase, éveillent le souvenir d’autres images, picturales, cinématographiques, qui contribuent à construire sous nos yeux un hybride théâtre-opéra aux antipodes de la conception totalisante de Wagner. Les costumes, parce qu’ils mélangent styles et époques, avec des références temporelles approximativement contemporaines de 1916 et des formes courantes au XVIIIe siècle. Ainsi la tenue de meneuse de revue empanachée de Zerbinette et les robes d’Ariadne et des Nymphes sont à la fois des créations et des hommages. Les lumières parce qu’elles contribuent à exalter formes et couleurs en étroite symbiose avec le climat dramatique, et c’est particulièrement évident pendant les intermèdes chorégraphiques.

Conçus par Sjoerd Vreugdenhil, ils sont exécutés par quatre danseurs qui leur confèrent une intensité rare ; loin d’apparaître plaqués sur la musique comme trop souvent, ils semblent émaner d’elle tant ils en épousent la souplesse et le rythme, et la pantomime durant l’introduction de l’opéra est d’une beauté plastique saisissante. C’est d’ailleurs cette impression de beauté qui domine, soutenue par les projections vidéo de Silbersalz Film qui montrent une mer tantôt calme tantôt déchaînée, sur laquelle l’îlot rocheux qui s’est substitué au décor du Prologue constitue celui d’Ariadne auf Naxos. Il occupe le centre de l’espace surélevé, devenu une scène au pied de laquelle le compositeur écoute extatique son œuvre, avant que Zerbinette ne vienne le chercher pour participer avec lui à la mêlée amoureuse que sa proclamation a suscitée. On reste béat d’admiration devant le chic avec lequel Laurence Dale et ses partenaires traitent ce qui pourrait n’être qu’une nième partouze en corps à corps telluriques où passent tant d’échos picturaux. A cette bacchanale avant l’heure, dont Ariadne s’est abstraite, tous les présents sur le plateau, artistes ou non, participent, dans une confusion des sexes qui chasse aux oubliettes les excommunications moralistes. Elle prendra fin quand les cuivres annoncent l’arrivée de Bacchus ; alors, dans un mouvement comme allant de soi, les étreintes se défont et tous se dressent, à attendre, tandis qu’Ariadne sort de la coulisse où elle s’était repliée.

Le bonheur, déjà grand, que donne cette production digne des plus grandes scènes, est alimenté en continu par une exécution musicale et vocale de très haute qualité. L’orchestre néerlandais du Nord, en résidence à Groningue, offre une palette de talents à même de rendre justice à la variété rythmique et au brillant de l’orchestration. Pour son premier Strauss, Antonino Fogliani démontre une compréhension profonde de la partition. Dans le prologue il met en lumière les pirouettes successives imaginées par le compositeur pour faire vivre l’affrontement entre « la grande musique » et le reste, l’innommable, comme autant d’esquives malicieuses des assauts « à la Gluck » ou « à la Wagner ». Dans le jeu d’équilibriste auquel s’est diverti le musicien, entre sources mélodiques germaniques, rythmes à l’italienne et échos « à la française » le chef d’orchestre réussit à tenir les temps sans mollesse ou précipitation, préservant exactement l’aspect de parade. L’opéra le verra enfler le son comme prescrit sans compromettre les chanteurs, et conserver la souplesse essentielle d’une écriture qu’elle fonde et qu’elle justifie. Si la mort est l’immobilité quoi de plus vivant que cette musique de Strauss ? L’écho qui en est donné ici allie la subtilité à une vitalité communicative.

Satisfaction globale aussi pour le plateau réuni. Si la Naïade de Caroline Cartens est un rien criarde, l’Echo d’ Hildur Hafstad ne démérite pas et avec la Dryade bien chantante de Leonie van Rheden leur trio parvient à la fusion mélodieuse qui ne manque pas de ravir. Irréprochable le trio des masques italiens, Michael Smallwood, João Fernandes et Pascal Charbonneau, ici déguisés en Bacchus avant l’heure, comme le majordome, si bien qu’on ne sait qui a eu ce caprice. Mention spéciale pour l’Arlequin de Rafael Fingerlos, dont la démarche chaloupée et l’air canaille renforcent l’effet vocal. Remarquables de présence le maître à danser de Christian Baumgärtel et le maître de musique intensément vécu par Stefan Heidemann, d’une raideur et d’une fermeté vocale exemplaires. Le Bacchus de Martin Homrich, s’il impressionne par sa haute taille, nous a semblé se borner à remplir son contrat sans subtilité vocale particulière, mais enfin les notes sont là. Bien différent est le Compositeur de Karin Strobos, dont la voix, loin d’être fragile comme on pourrait le croire, soutient la plénitude de l’orchestre et qui exprime de tout son corps, avec une conviction et une grâce touchantes, les émois du jeune créateur. Autre performance brillante, celle de Jennifer France, une Zerbinetta de haut vol, aussi bien vocalement que scéniquement. Son physique avenant est idéal pour l’amoureuse impénitente si sensible à la tentation, et l’abattage scénique qu’elle démontre dans son grand air traité en scène de revue mérite les plus vifs éloges. Quant à sa voix, si son trille n’a pas la perfection de certaine de ses consoeurs, elle n’en a pas moins l’agilité, la musicalité et l’étendue nécessaires à son parcours du combattant. Elle mérite une médaille ! Belle découverte enfin que la voix sombre et large, du moins l’avons-nous perçue ainsi, de Soojin MoonSebastian d’une expressivité saisissante, du détachement initial, du retrait au monde, jusqu’à l’effusion, jusqu’à l’illusion finales. Sa sobriété scénique est peut-être un rien excessive, ses mains figées semblant paralysées, mais tout en elle, de sa démarche à sa voussure, exprime la noblesse et la douleur, excepté au moment où elle sort de scène pendant la bacchanale, où un sourire éclaire son visage jusque-là fermé.

Encore une preuve de l’intelligence et de la cohérence de la conception de Laurence Dale : nous, spectateurs, voyons le spectacle voulu par le riche parvenu. L’apothéose finale se fait sous la forme d’une pyramide humaine au sommet de laquelle Bacchus étreint Ariadne sur fond de constellations, avant le feu d’artifice.

Comment ne pas jubiler, en sortant d’une telle représentation ? Et comment, aux heures sombres que nous vivons, quand la liberté de vivre à son gré est menacée de mort, ne pas voir dans cette œuvre née d’un mélange des genres un antidote contre les poisons mentaux ? Diffusée le 24 septembre à 19 heures sur ONP Radio 4, elle sera privée de la beauté des images. Mais le spectacle pourra encore séduire pour cinq représentations supplémentaires. Quels directeurs d’opéra, Français ou non, auront le flair de reprendre cette production ? Elle recrée en beauté un manifeste d’intérêt général ; la vie qui l’emporte sur la mort. Quoi de plus actuel et de plus nécessaire ?

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