« La Lumière luit dans les Ténèbres et les Ténèbres ne l’ont pas comprise », tel est le fil tendu par Mireille Delunsch tout au long de ce Dialogue des Carmélites qui ouvre la saison nantaise. Cette coproduction avec l’Opéra de Bordeaux constitue une des première incursions de la soprano dans l’univers de la mise en scène. Plutôt que de se lancer dans d’hasardeuses transpositions, celle qui fut encore il y a peu une incroyable Salomé choisit de servir sobrement le propos en conservant les habits d’époque dans une scénographie qui évoque chaque lieu par quelques éléments emblématiques. La création lumière de Dominique Borrini sublime l’ensemble avec une finesse remarquable. Cette lumière, donc, permet de solutionner au plus évident une problématique cruciale de la partition : comment représenter le sacré, comment donner à voir l’élan mystique qui pousse les filles du Carmel au sacrifice ?
Les cierges envahissent le plateau, ils créent d’abord une clôture symbolique entre Blanche et les sœurs, épreuve du feu qu’elle se doit de traverser. Puis les cierges deviennent métonymie de l’âme de chaque carmélites tournée puis élevée vers Dieu, avant la plus belle des images, lorsque la flamme devient celle d’un unique brasero, alors que les religieuses emprisonnées ont fait vœu de martyre et sont condamnées à mort.
On regrette un peu que la métaphore ne s’arrête pas là, sur ces individualités fondues en une seule aspiration, et que le procédé se galvaude dans la scène finale avec ces bougies qui s’éteignent l’une après l’autre chaque fois que le couperet de la guillotine ravit une existence.
Un parti pris scénique qui n’a rien de révolutionnaire donc mais qui sert sobrement le propos ; il devrait permettre à la direction d’acteur de s’épanouir pleinement, et c’est là que quelques réserves s’imposent. La puissance émotionnelle de la partition est admirablement mise en valeur par Jacques Lacombe qui amène l’Orchestre national des Pays de la Loire au meilleur avec un son sensuel et moelleux, particulièrement flatteur pour les vents. Il évite d’être trop démonstratif en terme de percussion prémonitoire et choisit de graduer ses effets avec beaucoup de raffinement.
On souhaiterait accompagner l’évolution des personnages avec la même délicatesse mais les motivations de Blanche et de Mère Marie relèvent plutôt de la volte-face et l’on peine à les comprendre. Anne Catherine Gillet incarne la première avec une clarté de timbre surprenante, on l’imaginerait volontiers en Constance ; de fait, c’est un rôle qu’elle a déjà tenu. Cette clarté vocale contredit la dimension torturée du personnage et dès les premières notes, on la sent déjà habitée par la Grâce. En outre, cette voix très haute – dont le vibrato se révèle un peu rapide – se défend comme elle peut dans les graves, mais ces derniers sont souvent étouffés par l’orchestre. La projection du français est impeccable ; l’interprétation extrêmement musicale, d’une grande sobriété, ne cherche absolument pas la séduction ; il faudrait peu de choses pour que les tourments de cette enfant « née de la peur » ne nous touchent profondément.
L’effet de miroir vocal qui s’installe avec la Constance de Sophie Junker est assez troublant et nuit parfois à la lisibilité des personnages. Cette autre novice illumine le couvent comme il se doit de sa pureté enjouée. Le timbre est soyeux, le légato particulièrement soigné, on regrettera seulement des finales passablement sèches.
Artiste allemande, Hedwig Fassbender dispose d’une diction épatante. Quel dommage que dans le rôle de Mère Marie de l’Incarnation, elle semble assez peu à son aise : les graves la mettent à la peine et la voix, contrainte, retenue dans le médium éclate, jubilatoire, dès que la partition lui permet quelques aigus. C’est l’autre mezzo de la distribution qui emporte tous les suffrages. Formée en France et habituée de l’Opéra-Comique, Doris Lamprecht a l’élocution parfaite d’une française de souche et offre à madame de Croissy une extraordinaire densité de présence. Arcboutée contre la mort, elle est saisissante de vérité. La voix est merveilleusement longue, la projection puissante, le timbre charnu et déchirant ; elle est bouleversante.
Le reste de la distribution est impeccable : on regrette de ne pas plus profiter du timbre généreux au légato remarquable de Catherine Hunold dont la Madame Lidoine est toute de chaleur et d’empathie. On a toujours plaisir à retrouver Frédéric Caton, habitué de l’opéra de Nantes, qui campe un Marquis de la Force à l’assise royale tandis que Stanislas de Barbeyrac prête sa prestance de ténor triomphant à son fils de manière très sensible.
La reproduction de la Madone aux Pèlerins de Caravage trône dans le salon de Blanche de la Force, ce chef d’oeuvre du clair-obscur atteste par sa seule présence que la lumière nait de l’obscurité. Tout comme l’oeuvre est lacérée par les révolutionnaires, l’étau mortel se referme autour des protagonistes du chef d’oeuvre de Poulenc qui nous offrent de bien belles Leçons de Ténèbres.
Prochaines représentations :
Nantes / Théâtre Graslin :
jeudi 17, dimanche 20 octobre, mardi 5, jeudi 7 novembre 2013
Angers / Le Quai :
vendredi 15, dimanche 17 novembre 2013